Le mouvement d'ouverture des données bancaires aux développeurs, initié par le Crédit Agricole et Axa Banque au début de l'année, commence à s'étendre. Cette semaine, son DSI indiquait dans une conférence qu'ING préparait une expérimentation en France – qui devient ainsi le "royaume de l'API bancaire" – et Intuit annonçait le lancement imminent de son offre, qui risque fort de secouer le secteur.
Pour ING, la démarche s'inscrit dans sa politique de projets pilotes à petit budget (inférieur à 300 000 USD chacun) – un autre (en cours de réalisation) vise, par exemple, à proposer la consultation des transactions bancaires sur Facebook. Cette stratégie d'innovation lui permet d'éviter des processus d'approbation longs et donc d'améliorer sa réactivité. Et, contrairement à une idée répandue et comme le démontre ce cas d'ouverture des données, les technologies modernes permettent de réaliser des petits miracles à (relativement) peu de frais, ce qui justifie d'autant plus le modèle retenu.
L'objectif de ce test, qui sera déployé dans d'autres pays s'il donne satisfaction, est le même que pour les autres banques qui se sont lancées précédemment : il s'agit d'exploiter la créativité des développeurs extérieurs pour imaginer les applications de demain. Consciente qu'elle ne peut pas tout inventer ni réaliser, ING préfère laisser ainsi le soin à des tiers de compléter son offre, ce qui lui profitera indirectement, plutôt que de voir ses clients se laisser séduire par les innovations de ses concurrentes.
L'enjeu est aussi de reprendre le contrôle de la relation avec le client sur le web, qui tend aujourd'hui à être préemptée par des acteurs technologiques. Saul van Beurden, DSI d'ING, indique par exemple que 60% des accès aux services en ligne de la banque (aux États-Unis) proviennent désormais de Mint, le numéro 1 du "PFM" (gestion de finances personnelles), dont il a été forcé d'accepter l'"infiltration" face à la pression des clients. Et il perçoit une menace de plus en plus sérieuse de la part des vrais géants de l'internet, Facebook et Google en tête.
Ce DSI n'accueillera donc probablement pas avec plaisir la surprise que lui réserve Intuit, propriétaire de Mint, justement. A partir d'octobre prochain, les APIs (interfaces de programmation applicative) que la société mettait à disposition des développeurs pour enrichir ses solutions de comptabilité professionnelle vont être complétées d'accès aux mêmes données que celles qui motorisent Mint.com, Quicken et FinanceWorks, les différentes variantes de ses services de gestion financière pour les particuliers. Or ces données sont tout simplement celles des plus de 19 000 institutions financières nord-américaines qu'elle agrège pour ses millions d'utilisateurs !
Pour les développeurs, qui commencent donc à être sollicités "de toute part", la proposition d'Intuit est incomparable car elle offre un accès direct et immédiat à la quasi-totalité du marché (côté banques) et à une immense base d'utilisateurs, avec un seul développement. En comparaison de l'effort que représente l'intégration avec chaque établissement, aucune n'étant identique à l'autre, l'avantage est évident. Et pour les clients également, de plus en plus multi-bancarisés, la plate-forme "universelle" d'un Mint est naturellement plus pertinente.
En fait, le combat est tellement déséquilibré qu'il pourrait sembler perdu d'avance. Mais il reste de l'espoir. Les institutions financières ont tout d'abord un avantage de facilité et de confiance qui continue à jouer en leur faveur : l'accès aux services en ligne est intégré à leurs offres et est entré dans les habitudes, alors que l'inscription à un service de PFM demande un effort supplémentaire et peut susciter des craintes de sécurité. Plus important, les banques ont aussi la capacité d'ouvrir des services plus riches aux développeurs tiers, par exemple l'exécution de transactions, qui reste inaccessible aux intermédiaires.
En France, ce sont donc bientôt 3 banques qui chercheront à séduire les développeurs. Si Linxo ou Bankin décide d'ouvrir ses APIs, le choix risque d'être rapide... Il est donc peut-être déjà temps de penser à l'étape suivante et à ce qui permettra de garder un avantage. Car l'enjeu est plus important qu'il peut y paraître : les clients qui utilisent un outil externe fréquentent moins le site de leur banque et "échappent" aux messages (marketing) qui y sont déployés. Et si, à terme, les promotions personnalisées dans les relevés d'opérations se développent, c'est le site où le consommateur consultera ses comptes qui en tirera les bénéfices...