Ce roman d'Arthur Miller sonne comme un roman initiatique dur, âpre, difficile. A quel prix accepte-t-on l'Autre? Au prix d'un renoncement à soi, d'un combat presque titanesque tant Laurent Newman est un homme pusillanime, médiocre. Il en est d'ailleurs prodigieusement agaçant. En effet, au début du roman, il veut en être, veut s'intégrer à tout prix dans son travail, parmi ses voisins, des Américains moyens soupçonneux. Or, quelque chose cloche chez Laurent Newman et va déterminer sa vie, toute sa vie, la bouleverser de façon cruelle et radicale:même s'il n'est pas Juif, il a l'apparence d'un Juif et à cause de cela, se fait renvoyer de son travail après avoir lui-même procédé de la sorte. Petit à petit l'hostilité gagne du terrain, l'encercle, les étouffe, lui et Gertrude, celle qu'il a renvoyée pour cause de physique incompatible avec la politique raciste et antisémite de la firme américaine. L'histoire se déroule pendant la Seconde guerre mondiale, celle-là même qui a vu l'extermination de près de 6 millions de Juifs. Nous sommes dans la patrie de la liberté de pensée, d'expression, dans un pays qui s'est battu au XVIIIème siècle pour s'affranchir du joug anglais. Et pourtant on se croirait parfois dans l'Allemagne hitlérienne, l'Allemagne nazie. Focus laisse entrevoir les persécutions atroces que subissait le peuple juif. L'Amérique conquérante et si fière d'envoyer ses soldats combattre les Allemands et leurs alliés ressent la même haine à l'encontre de l'Autre, de l'Altérité. Laurent Newman et sa femme subissent humiliation sur humiliation jusqu'au passage à tabac final qui voit cet antihéros, cet homme chétif et solitaire rejoindre le peuple des opprimés.
Un très grand roman bouleversant. La figure pathétique et terriblement humaine de Laurent Newman est inoubliable.