Ma mère part en voiture vers 19h00 accompagnée de sa soeur Sylvia et de son frère Pierre à destination de Vial. Ils vont faire l'aller-retour dans la nuit pour récupérer toutes les affaires ainsi que les papiers administratifs importants pour toutes les démarches à venir. Quatre heures de route à l'aller, quatre heures de route au retour, plus trois heures minimum pour tout trier et rassembler.
Les trois frère et soeurs, comme un retour à l'enfance, s'allient de nouveau dans cette entreprise nocturne. Secrète.
Toute une nuit, éveillés, pour tourner définitivement cette dernière page douloureuse.
Je savais à ce moment-là qu'il n'était plus question de revenir en arrière. Notre vie n'allait plus être partagée quotidiennement avec "l'autre". La suite nous était encore inconnue, mais notre seule certitude était que les choses allaient changer. Une autre vie nous attendait, mais elle n'en était pas moins difficile.
Lorsqu'ils arrivent à Vial vers 23h30, ils se mettent aussitôt au travail. Les deux soeurs trient, pendant que Pierre emballe et charge le tout dans le coffre de la voiture. Alors qu'il est au rez-de-chaussée de la maison, les deux soeurs sont à l'étage et trient les vêtements.
Sylvia est de deux ans l'aînée de ma mère. On les surnomme les jumelles par leur forte ressemblance. Sylvia et ma mère ont toujours été très proches et ont toujours tout partagé. L'ironie du sort est qu'elles ont eu toutes deux leurs grossesses à quelques mois de différence. Son fils aîné, Yannick a le même âge que Joséphine, tandis que Benoît a presque un an de moins que moi.
Lorsqu'elles commencent à trier mes affaires, ma mère regarde sa soeur. Des larmes se forment sur le bords de ses yeux noirs.
- Sylvia... Qu'est-ce qu'il ne va pas ?
- Je me demande si je ne devrais pas faire comme toi.
- Qu'est-ce qu'il s'est encore passé ?
- Je n'en peux plus. (montrant une pile de tee-shirts.) Ca tu l'emmènes ?
- Oui.
- Il me méprise complètement. Et les garçons sont durs avec moi. Yannick ne me parle plus et s'enferme dans sa chambre à longueur de journée pour écouter son hard rock à fond. Benoît ne m'écoute plus. Il me répond, me parle mal.
- Ca je ne le prend pas. C'est trop petit pour lui...
- D'accord... Et lui il ne dis rien. Il se mure dans un silence terrifiant. Il ramène ses collègues à la maison. Il me provoque.
- Qui ça ? Encore avec Laure ? celle qui travaille à la mairie avec lui ?
- Oui. Il la prend sur ses genoux, et ne fais que des plaisanteries... enfin tu vois... des plaisanteries dégueulasses... les garçons voient ça. Leur père ne me respecte pas, alors je ne vois pas pourquoi ils n'en feraient pas autant.
- Mais, c'est pas vrai !
- J'ai envoyé les enfants se coucher, et je me suis pris la tête avec Laure, mais rien n'y fait. Elle dit que ce n'est que de la rigolade. On a failli se battre.
- Non ?
- Si. Et quand elle est partie, j'ai voulu en discuter avec lui. Comprendre pourquoi. Il s'est fait une palissade en lisant son journal et fumant sa pipe. Je pleurais, il n'en avait rien à foutre. J'étais humiliée. Tu connais mon tempérament bouillant ? Et bien au bout de vingt-minutes qu'il n'avait même pas pris la peine de baisser son journal pour me répondre ou au moins me regarder, j'ai pris son briquet qui était posé sur la table et j'ai mis le feu à son journal.
Elles éclatent de rire.
- Tu as fais ça ?
- Oui. Mais rien n'y fait. Je n'existe plus. Il décide de m'humilier. De me mépriser.
- Tu me passes les pantalons.
- Tiens.
- Les deux.
- Ce sont les deux mêmes ? (Elle s'exécute) J'aimerai me tirer. Me tirer et le laisser avec son mépris, son journal et sa pipe. Mais je ne veux pas pour les garçons. Et puis pour aller où ? J'ai plus confiance en moi Myriam.
Elle tombe en larmes dans les bras de ma mère.
Les deux soeurs sont assises sur mon petit lit. Dans les bras de l'une et de l'autre. Elles se soutiennent. Se donnent de la force.
Un mal qui contamine l'autre. Elles sont alliées dans la douleur. Quelques instants se passent ainsi. Dans le silence d'une chambre d'enfant. La nuit. Un silence et quelques soupirs. Puis, une voix retentit, comme un réveil brutal. Elles se sèchent les yeux :
- Les filles. J'ai fini les premiers cartons !
- On arrive !
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