Après le succès de son roman L'amour nègre, Prix interallié 2010, Jean-Michel Olivier continue avec délectation son exploration de la société du spectacle. Avec Après l'orgie, il signe un deuxième volet sur des thèmes proches de son précédent livre, mais dans une forme assez différente, dialoguée, et avec des épisodes qui visent à creuser satiriquement les choses jusqu'à l'excès.
D'abord les parentés entre les deux romans. Ce terme de parenté est à prendre dans un sens propre puisque Après l'orgie raconte l'histoire de la sœur adoptive du personnage principal de L'amour nègre. On se souvient que celui-ci, Adam, avait été arraché à l'Afrique par un couple d'acteurs célèbres ressemblant étrangement à Brad Pitt et Angelina Jolie, puis avait été envoyé chez un autre acteur qui rappelait assez précisément Georges Clooney. Cet exil lui avait été imposé à la suite de quelques frasques. Il avait notamment couché avec sa sœur adoptive, Ming, qui était tombée enceinte de ses œuvres.
Ces faits sont rappelés au début d'Après l'orgie, ainsi que leur prolongement. Adam, à la fin de L'amour nègre, avait retrouvé le pensionnat suisse où Ming avait été conduite après son avortement. Mais leur rencontre attendue échoue et Ming se lance dans toutes sortes d'aventures.
Accidentée, elle va être transformée par la chirurgie esthétique qui en fait une femme superbe et méconnaissable. Devenue un top model de haut niveau, elle est l'égérie d'un couturier génial et provocateur, petit homme malingre dans lequel on reconnaît sans peine John Galliano. Sa route aléatoire l'amène à rencontrer de nombreux amants (elle couche même avec son père adoptif), qui convoitent son image refaçonnée et sans fond, des amants dans lesquels le lecteur averti reconnaît pas mal de personnalités.
Car Après l'orgie est aussi un roman à clés. Cet aspect est encore plus sensible dans la deuxième partie du livre. Ming se retrouve dans la sphère de Papi, le chef du gouvernement transalpin, septuagénaire et lissé par la chirurgie esthétique, devient veline, présentatrice de télévision à succès, est bombardée Ministre italienne de la Communication, s'occupe des plaisirs du chef et lui organise une dernière orgie démesurée et fellinienne, dans laquelle errent tous les people de la planète, pour exciter les sens du vieillard qui veut encore jouir.
On tique parfois devant ces épisodes outranciers avant de se rendre compte qu'ils ne sont même pas exagérés : chacun peut y reconnaître des personnalités et des nouvelles du monde transmises par le bavardage des médias. A travers eux, Jean-Michel Olivier brasse avec euphorie des thèmes très contemporains : mode, politique spectacle, perfection physique, chirurgie esthétique, tyrannie de l'image, désir de jeunesse, sexualité débridée, starification, adoption, inceste... Des thèmes qui prolongent son précédent livre et rangent son écrit parmi les satires (« écrit dans lequel l'auteur fait ouvertement la critique d'une époque, d'une politique, d'une morale ou attaque certains personnages en s'en moquant » - dictionnaire du cnrtl).
Mais contrairement à L'amour nègre, qui racontait l'histoire d'un Candide moderne que l'on suivait au jour le jour, la vie de la jeune Ming est livrée au lecteur dans une forme différente. Elle est racontée par le personnage principal lors d'une suite de séances où elle confie les divers épisodes de son parcours à un psychiatre, qui ne sait s'il doit la croire ou non. Un psychiatre qui va se faire manipuler par Ming jusqu'à un retournement de situation final. Un psychiatre qui, entre parenthèses, va faire bondir tous ceux de sa profession tant ses interventions sont atypiques.
Mais l'essentiel, pour Jean-Michel Olivier, on le sent, n'est pas le réalisme psychologique mais une description du présent qu'il mène avec jouissance et entrain. Le présent non tel qu'il existe dans notre quotidien personnel, évidemment, mais tel qu'il est offert dans les potins de Voici, Gala, Public, Entrevue, ou les pages people des journaux. Le présent tel qu'il est proposé par ces médias comme un idéal de fête et de réussite.
La citation de Jean Baudrillard qui est mise en exergue du livre explique d'ailleurs le projet :
« Ce fut une orgie totale, de réel, de rationnel, de sexuel, de critique et d’anti-critique, de croissance et de crise de croissance.Nous avons parcouru tous les chemins de la production et de la surproduction virtuelle d’objets, de signes, de messages, d’idéologies, de plaisirs.Aujourd’hui, tout est libéré, les jeux sont faits et nous nous retrouvons collectivementdevant la question cruciale : QUE FAIRE APRÈS L’ORGIE ? »
La réponse, justement, d'après Jean-Michel Olivier, est à la fin de celle que Ming organise pour Papi, et dans lequel elle lui fait un cadeau... disons ultime.
Jean-Michel Olivier, Après l'orgie, Editions de Fallois/L'Age d'Homme