Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirerS'y jeter à mourir tous les désespérésTes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire
À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changentL'été taille la nue au tablier des anges Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blésLes vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luitTes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluieLe verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisureMère des Sept douleurs ô lumière mouilléeSept glaives ont percé le prisme des couleursLe jour est plus poignant qui point entre les pleursL'iris troué de noir plus bleu d'être endeuilléTes yeux dans le malheur ouvrent la double brèchePar où se reproduit le miracle des RoisLorsque le coeur battant ils virent tous les troisLe manteau de Marie accroché dans la crècheUne bouche suffit au mois de Mai des motsPour toutes les chansons et pour tous les hélasTrop peu d'un firmament pour des millions d'astresIl leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeauxL'enfant accaparé par les belles imagesÉcarquille les siens moins démesurémentQuand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mensOn dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvagesCachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentesJe suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août
J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défenduÔ paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes
Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrentMoi je voyais briller au-dessus de la mer Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa.Louis Aragon Les yeux d'Elsa Seghers 1942