André Laude, poèmes

Par Poesiemuziketc @poesiemuziketc

POÉSIE URGENTE
Plus que jamais la poésie est urgente. Vitale comme le pain et le vin. Nécessaire comme la pluie et le soleil, les néons et les nuits polaires.
A l’heure où s’effondre définitivement le rêve révolutionnaire nourri d’octobre 17, à l’heure où l’abjecte massification, l’uniformisation dans le pire médiocre s’accélèrent, à l’heure où en dépit de certaines apparences, la « liberté » de l’individu – fondement incontournable de toute civilisation- rétrécit, à l’heure où les politiques s’épuisent, où les tyranneaux prolifèrent, où les nationalismes, les intégrismes se réveillent, où la pauvreté enflamme les têtes autant que les slogans stupides et simplistes, la poésie est, d’abord et avant tout, une « arme miraculeuse » (Aimé Césaire) pour la Résistance. Totale. Irrécupérable. Sur tous les fronts.Résistance contre ce qui endeuille l’être, souille, mutile, brise, l’élan de l’individu vers le « Champ des
possibles », l’immense continent de la Vie encore inconnu, qui attend son Christophe Colomb. La poésie ne relève pas des dogmes établis. Elle est cet outil pour l’homme qui lui permet de prendre la mesure de sa non-finitude, de sa majesté et de son mystère émouvant et inépuisable. Elle est le vent qui le pousse dans le dos dans sa marche à l’étoile, l’éclair qui l’arrache à l’humus pour le projeter à hauteur d’astres de plomb et de feu.

Langages, étranges copulations de mots, bouleversements de syntaxes, volontés de dialogue, énoncés du monde sensible, fouillements des ténèbres, cris d’amour, d’humour surtout « noir », enracinements dans l’errance, la glèbe ou la « big city », explosions de désespoir qui s’ouvre curieusement sur quelque innommable espérance, la poésie est aussi, dans sa plus haute condensation, germination, acte.
Acte qui implique que tout poète authentique, fut-il élégiaque et soumis aux subtils secrets métaphysiques, est un réfractaire, un vrai outlaw, Hölderlin, Rimbaud, Maïakovski même combat ! Poètes Solitaires. Poètes Solidaires. Jusqu’au revolver, la jambe pourrie, la raison « saccagée ».
La poésie est ce dont l’homme – même s’il l’ignore ou feint de l’ignorer – a le plus besoin pour tracer au flanc du monde la cicatrice de sa dignité. La poésie : un vertige permanent entre la lune et le gibet.
Sans Poésie – libre, follement libre – l’univers serait boule morte. La poésie aux lèvres rouges : la potion magique pour guérir, peut-être, l’angoisse électrique de l’inconnu qui écrivit une certaine heure de fièvre sur les murs de Mai 1968 :
« Y a t-il une vie avant la mort ? »
Ce texte publié par Yann Orveillon en revue fut écrit vers 1990 pour un projet de manifestation de l’association >Les Voleurs de Feu, avec la mairie de Chateauroux, qui n’a pas eu lieu.
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.Source : les Amis d’André Laude
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Choix de textes

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Je m’appelle personne

Je n’ai pas de nom. Je m’appelle Personne.

Les riches ont l’or,

mes maigres mains creusent le rio.

Mes maigres mains creusent un sillon de mort.

J’ai enterré tant d’enfants que ma mémoire

est une encre sauvage.

Je n’ai plus de mains. Je n’ai plus d’âge.

J’ai la sagesse des grands arbres brisés par les Américains.

Je suis un Peau-Rouge. Jamais je ne marcherai

dans une file indienne.

J’ai très mal au cœur, au sexe, aux entrailles.

Je prie. Je suis Sioux.

Je prie. Je crois à la revanche.

Je suis celui qu’on ne peut pas tuer au cœur de la bataille.
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J’étais je suis je serai

J’étais pierre éclatée, soleil-sida,

j’étais cadavre sous les brassées de fleurs.

J’étais silence mural. J’étais cimetière de campagne.

J’étais oiseau aux ailes brisées, mazoutées.

J’étais vieux, alcool

parlant sans cesse de guerre dans les djebels.

Je suis un scénario de suicide. Je contemple le fleuve.

Je vois passer des cadavres de veuves.

Je me hais et je veux mourir. Je me hais

et je veux mourir.

Fermez les yeux. Songez une dernière fois

à mon profil de poète grec,

dans la plus pouilleuse île.

Je serai, à partir de ce jour, ciel, ciel et ciel.

Ciel au-delà de vos folies meurtrières.

Je serai ciel. Je serai éternel.

Encre et sang

Je fais de ma vie de

nuit en nuit un tas d’ordures.

Je fais de ma vie une brumeuse chronique.

Je fais de ma nuit le carrefour des fantômes.

Je fais de mon sang un long fleuve

qui tape à mes tempes.

Je fais de ma peur un oiseau noir et blanc

Je fais d’un oiseau mort, pourri,

l’enfant que j’aurais pu être.

Je fais d’un enfant un feu fou, un bloc de cendres.

Je fais de ma mort à venir un festin de serpents.

Je fais d’un serpent la corde pour me pendre.

Je fais d’un long, acharné silence le testament

de tout ce qui fut désastres, horreurs, ennuis,

ruptures et interminables hurlements.

Je pisse de l’encre et du sang.

Je pisse de l’encre et du sang.

Je chante sur le bûcher des châtiments.

Le ver dans le fruit

Je longe le long sillon qui conduit aux morts muets.

Je songe à la neige, aux chevaux de feu,

à l’hiver des paroles.

Je vois des bois brûlés, des vaisseaux échoués,

des mouettes prises par le gel.

Je longe le fleuve de sang et de larmes

qui traverse les inquiétantes ruines.

Je sens l’odeur des prédateurs, l’urine

de la hyène, la matière fécale des jeunes bébés.

J’écris à partir d’un noyau de nuit.

J’écris à partir d’une tranchée noyée de boue.

J’écris corde au cou.

La trappe déjà tremble sous mes pieds.

Je longe le marbre froid qui donne le frisson

et chante une très étrange et vieille chanson,

qui dit qu’aujourd’hui et pour toujours

le ver est dans le fruit.

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Corrida

J’adhère à ma mort comme l’astre au ciel.

La vie cruelle

a tué en moi beaucoup d’or

et d’enfants qui ont pleuré au bord des lèvres.

Le temps est venu

de remettre les pendules à l’heure.

Adieu heure d’été, Adieu heure d’hiver

c’est maintenant l’heure de l’exil blanc et des remords.

Déjà je m’enfonce en terre

chandelle éteinte.

En bon et fougueux matador

j’esquisse une feinte.

À quoi sert de défier cape rouge et cape noire.

La poésie est simple comme bonsoir

au milieu d’une arène de sable et de sang. Décapité

Nous n’habitons nulle part nous ne brisons de nos mains

rouges de ressentiment que des squelettes de vent

nous tournoyons dans un désert d’images diffusées par les

invisibles ingénieurs du monde de la séparation permanente

retranchés dans les organismes planétaires planificateurs

infatigables du spectacle

nous ne sommes rien nous ne sommes qu’absence

une brûlure qui ne cesse pas nous n’embrassons nulle bouche

vraie nous parlons une langue de cendres nous touchons

une réalité d’opérette

nous n’avons jamais rendez-vous avec nous-mêmes

nous nous tâtons encore et toujours

nous errons dans un magma de signes froids nous traversons

notre propre peau de fantôme

le soleil du mensonge ne se couche jamais sur l’empire de

notre néant vécu atrocement au carrefour des nerfs

nous n’avons ni visage ni nom nous n’avons ni le temps

ni l’espace des yeux pour pleurer trente-deux dents

totalement neuves pour mordre

mais mordre où mais mordre quoi

de fond en comble toutes les chaînes

autour desquelles s’articulent nos chairs nos pensées

d’aujourd’hui

jusqu’à ce qu’elles cassent dans un hourrah de lumières de

naissances multiples

décrétons le refus global

les jardins des délices tremblent et éclairent au-delà

la révolte met le feu aux poudres

taillez enfants aux yeux d’air et d’eau les belles allumettes

dans la forêt des légitimes soifs

taillez les belles allumettes pour que flambe le théâtre d’ombres universel.
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Testament de Ravachol, éd. Plasma 1974

Avec ma gueule de métèque

je marche le long des grands boulevards

de l’Europe de l’Ouest sclérosée

à la peau du ventre fripée

Je suis juif de Lodz

j’ai quitté

il y a

à peu près un siècle

le Shettl natal

pour devenir

raccommodeur de vieux vêtements

rue des Ecouffes

fidèle client

de la synagogue

et du bistrot

de Goldenberg

Je m’appelle

Moshé Isaac Lewinshon

Je suis kabyle

du Ravin de la femme sauvage

je balaie les feuilles mortes d’octobre

en récitant du Prévert

L’été je vide les poubelles

c’est beau

Paris à cinq heures du matin

dans l’Ile-Saint-Louis

Là-bas m’attendent

femmes et enfants

je reviendrai un jour

au douar

riche et tuberculeux

Je m’appelle Mohamed Larbi

Fils de la Kahena

Enfant du grand désordre

Je suis nègre

du pays des grands fétiches

et des lacs profonds, brûlants

aux poissons lourds

chez Renault Billancourt

je travaille à la chaîne

À la pause de midi

je tape sur les vieux bidons

cabossés

et ça fait rire les copains français

qui entre eux à voix basse

prétendent

que j’ai bouffé mes grands-parents

Je suis nègre

syndiqué

il y a des femmes blanches

que je désire

en silence

Je m’appelle Abou Diouf

et il paraît

que j’ai vingt-trois ans

je ne bois jamais

car je suis bon musulman

et les autres se mettent en colère

parce que je refuse de me saoûler

en leur compagnie

quand tombe la nuit

sur Pantin Saint-Ouen

Bagneux Ivry

rue Saint-Denis

Avec ma gueule de métèque

je marche le long des grands boulevards

de la civilisation occidentale

j’ai toujours peur

des flics qui cognent

tâtent sournoisement

sous mon imperméable

j’ai toujours peur

des regards haineux

des sourires des mères

qui promènent

leur progéniture

j’ai toujours peur

des néons

de la foule

des bagnoles qui me frôlent

des feux rouges

des fins de journées

des patrons de cafés

et de leurs chiens-loups

J’ai toujours peur

dans le métro

au BHV

dans la rue

dans ma chambre

propre et triste

nue

J’a toujours peur

de mon visage

dans le regard de l’autre

J’ai toujours peur parce qu’obscurément je sais

que je suis coupable

coupable de tout

Pensez :

Je viens d’ailleurs

Ma voix est rauque

je suis différent

Mon sang

a coulé

d’un feuillage inconnu

ici

J’ai toujours peur

Et pourtant

j’aimerais avec chacun

parler

de la pluie

et du beau temps

leur montrer à tous

les vieilles photos jaunies

de là-bas

du pays

Mais je ne peux pas

faire le premier geste

car j’ai toujours peur

Mais je vous demande

Pardon

Le Fou parle n°12 – mars 1980
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Dernier poème

Ne comptez pas sur moi

je ne reviendrai jamais

je siège déjà là-haut

parmi les Elus

Près des astres froids

Ce que je quitte n’a pas de nom

Ce qui m’attend n’en a pas non plus

Du sombre au sombre j’ai fait

un chemin de pèlerin

Je m’éloigne totalement sans voix

Le vécu mille et une fois m’abuse, vaincu.

Moi le fils des Rois.

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.Dossier André Laude sur Esprits Nomades
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Lettre à Che Guevara entre lune froide et fusil

Il n’est pas de jour Ma fleur de sang
que je ne touche
dans le temps froid de la contemplation
tes os généreux ton sourire de sierra assassinée

Ici, en Europe, nous continuons à vivre. Nous
faisons mille et mille gestes
nous aimons des femmes nous les blessons parfois
et parfois elles laissent des cadavres dans nos chairs
Ici en Europe nous continuons à discuter
nous écrivons des tas d’articles
des manifestes pour la révolution violente
nous signons des protestations.
Tu sais depuis que tu es de l’autre côté de la montagne
sur le versant le moins éclairé
on torture toujours on tue et des guerres succèdent aux guerres
Guerres locales disent les commentateurs pour rassurer le peuple

Parfois un garçon Il s’appelle Andreas Baader
grand cœur et mauvais marxiste
las saisit l’arme et frape à la tête le mal
et toutes les rues aboient contre sa jeune lumière
Ici, en Europe, nous continuons. Nous
grimpons des étages. Nous regardons les marchandises
dans les vitrines des magasins. Nous lisons des revues
des bandes dessinées Nous allons au cinéma voir
le dernier Godard, le dernier Fellini
et à l’entracte nous achetons des glaces car
c’est l ‘été maintenant et Paris est irrespirable.
Pendant ce temps toi tu t’enfonces plus profondément
Dans la terre Tes yeux s’enfoncent et tes lèvres moqueuses
Et ton flanc et tes mains et tes organes morts
Pendant ce temps toi tu épouses lentement la terre

Une part de toi dans la terre Une part de toi dans mes entrailles
et tu t’enfonces ici et là
Mais dans nos pays on ne t’oublie pas :
Sur les posters tu as l’air terriblement vivant
Fleur de sang
Fleur de sang.

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Lettre à Antonio Machado entre Collioure et l’Espagne

Repose vieil homme repose calmement
ta part vivante marche parmi nous
ton chant a eu des troupeaux d’enfants
Dans cent voix castillanes je retrouve ton regard simple,
ta main humaine

Repose vieil homme repose calmement
près de la mer bleue, près de l’olivier
avec pour compagne la rumeur des vieillards
qui discutent sur les bancs en dessinant avec leurs souliers
dans la poussière

Repose vieil homme repose calmement
Ton Espagne vit toujours. Certes
On y trouve toujours des senoritos
Toujours on y pleure et espère
on y lutte pour un autre temps
en songeant à toi qui, malade,
ne pensait qu’au pays sombre d’agonie

Repose vieil homme repose calmement
de loin je t’adresse ce jasmin
de fidélité et de respect filial
de loin je t’adresse ce message
de sang de souffle de convictions
plus dures que les épées, invincibles.

Repose vieil homme repose calmement
un jour à dos d’hommes fiers
sur les paumes jointes des pauvres
Entre les mains des mères graves
dans une voiture de lune et d’eau
dans une guitare de sang et d’air
nous te ramènerons là où elle dort
la jeune femme de tes songes, la jeune morte
qui vint secrètement ensevelir tes yeux à Collioure
Collioure de lumière Collioure de deuil Collioure d’exil.

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D’autres lettres poèmes d’André Laude sur le site Danger Poésie

Bibliographie d’André Laude
;
Poésie

Couleur végétale, 1954

Nomades du soleil, 1955

Pétales du chant, 1956

Entre le vide et l’illumination, 1960

Dans ces ruines campe un homme blanc, 1969

Occitanie, premier cahier de revendications, 1972

L‘Assassinatde Baltard, 1972

Rythme cardiaque, 1973

Le bleu de la nuit crie au secours, 1975

Testament de Ravachol, suivi de Corps interdit

et de

Bannière de colère, 1975

Vers le matin des cerises, 1976

FreePeople, 1976

Ticket de quai, 1977

Comme une blessure rapprochée du soleil, 1979

Un temps à s’ouvrir les veines, 1979

19 lettres brèves à Nora Nord, 1979

Riverains de la douleur, 1981

53 Polonaises, 1982

Roi nu roi mort, 1983

Vingt Chants du prince, 1985

L’Œuvre de chair, 1988

Rituels 22, 1989

Mémoires fixes, 1989

Journaux de voyages, 1992

Feux, cris et diamants, 1993

Journal de voyage au Maroc, 1993

Récits

Joyeuse Apocalypse, Stock, 1973

Ruedes Merguez, éditions Plasma, 1979

Liberté couleur d’homme, essai d’autobiographie fantasmée
sur la terre et au ciel avec Figures et Masques, Éditions Encre,
1980

Essais

Le Petit Livre rouge de la révolution sexuelle, avec Max Chaleil,
Nouvelles Éditions Debresse, 1969

Corneille, le roi-image, monographie, Édition Paris
S.M.I., 1973

Le Surréalisme en cartes, Nathan, 1976

Corneille aujourd’hui, éditions Bergström (Suède), 1978

Irina Ionesco, Bernard Letu, 1979

Ouvrages pour la jeunesse

Eléfantaisies, L’École des loisirs, 1974

Luli, phoque fugueur,
La Télédition, 1975

Les
Aventures de Planti
l’Ourson
, La
Télédition, 1975

Féeries
pour figurines
et théière
, La
Télédition, 1975

Le Brave Homme et l’arc-en-ciel, La Télédition, 1975

Tato tête d’œuf, La Télédition, 1975

Ronge-Tout et Pelucheux, La Télédition, 1975

Rhinocérose, La Télédition, 1975

Ivan, Natacha et le samovar magique, La Télédition, 1975

Animalphabet, Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1977

Joe
Davila l’aigle
,
avec des illustrations de Berenice Cleeves, Casterman, 1980

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biographie d’André Laude ici

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On peut contacter l’Association des Amis d’André Laude chez André Cuzon au 01 48 66 18 88. Courriel : acuzon@wanadoo.fr
La cotisation annuelle est fixée à 15 euros (Cahier compris).
Le site Poésie Urgente