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BVA ou comment poser les bonnes réponses

Par Alainlasverne @AlainLasverne

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GRAPH XXXVI
n a critiqué sondages et sondeurs aux présidentielles 2012 pour leurs bourdes et leur caractère auto-réalisateur. Critiques légitimes fondées sur les résultats, dont les divergences prêtèrent à commentaires acides et protestations arguant d'une République toujours soumise au bon vouloir de l'opinion sondagière.

Peu déstabilisés, les sondeurs continuent leur bonhomme de chemin en insérant un patch dans leurs résultats, une marge d'erreur potentielle détaillée dans tous les préliminaires techniques de leurs sondages.

Un auteur, s'il est concerné par les défaillances structurelles, est surtout immédiatement sensible aux mots. A ces mots que les sondeurs utilisent pour analyser avec un regard docte et éloigné les ondes de son panel, de ce groupe de gens soigneusement choisis et censés représenter la société.

A ces mots qu'ils utilisent d'abord pour poser les questions.

Par hasard, à la suite d'annonces sensationnalistes d'une certaine presse aux couvertures à gras caractères et aux articles toujours destinés à illustrer les hommes de pouvoir, j'ai découvert le sondage suivant : «Bilan de l'exécutif après quatre mois de pouvoir », réalisé le 6 et 7 septembre 2012 sur un échantillon représentatif de 1034 personnes âgées de plus de 18 ans.

Manifestement BVA à oublié une règle de base du sondage : ne pas influencer le répondant. Un sondage doit d'abord et avant tout proposer un questionnaire neutre. C'est aussi une règle de parfait bon sens.

Détails des dérapages...

Le dernier questionnaire en ligne se voudrait, donc, un « bilan de l’exécutif après 4 mois de pouvoir ». Il est organisé en 2 parties. Une portant sur François Hollande, l'autre sur l'action du gouvernement. Une grande ambition traitée finalement en 5 questions. On ne pourra pas dire que BVA ne maîtrise pas l'art de la synthése.

Dans le chapitre initial « satisfaction envers F. Hollande, en tant que Présient », la question posée est :

Diriez-vous que pour le moment, vous êtes plutôt satisfait ou plutôt mécontent des débuts de François Hollande en tant que Président de la République ?


Il apparaît dans l'ensemble du sondage, comme dans d'autres que BVA a choisi d'adopter un vocabulaire populaire, qui parle aux émotions. Mais à faire de l'entertainement on n'est pas sûr de respecter la rigueur du questionnement.

Le jugement doit se poser sur l'action de François Hollande. Il implique une remémoration de ses divers projets et actes, avec une comptabilité intérieure entre ce que chaque répondant juge favorable à améliorer sa situation et/ou celle du pays tout entier, ou ce qui est diagnostiqué défavorable. Ou on attend l'humeur versatile et irrationnelle du questionné, voire ce que lui dit son petit doigt mouillé.

Juger est un acte difficile est important. Il suppose de prendre de la distance, de soupeser indépendamment des a-prioris et de la détestation, ou du préjugé favorable qu'on a pour l'homme François Hollande, etc.

Or, on fait ici appel aux sentiments, à l'émotion qui squeeze le jugement, le submerge. On comprend mieux que BVA ait parlé ensuite des « débuts » de François Hollande et non pas de « l'action » ou des « actes », des « décisions », qui font référence à des éléments concrets. « Débuts » renvoie à l'homme, le personnage, à son parcours propre, spécifique. On pense aux chanteurs, au stars de cinéma, immédiatement.

BVA, sous couvert d'utiliser un vocabulaire plus coloré que les termes neutres prescrits, écarte le jugement et personnalise ce qui est essentiellement une fonction caractérisée par un programme et des projets. La personnalité pourrait être prise en compte par les sondeurs, de manière claire puisqu'on ne peut nier qu'elle interviennent dans l'action du chef de l'Etat. Ainsi, l'institut aurait pu faire deux volets à son questionnement, un sur la personnalité de Hollande, l'autre sur son travail, ses actes. Manifestement, ce n'est pas le choix de BVA qui préfère la confusion, la personnalisation ouvrant la voie, on le verra plus loin, à l'esprit monarchique.

Dans le chapitre « engagements », la question posée est :

Depuis l’élection de François Hollande et la nomination de Jean Marc Ayrault au poste de Premier Ministre, diriez-vous que le gouvernement…

Respecte les engagements pris par François Hollande pendant sa campagne électorale

Le gouvernement est issu des rangs de la majorité qui a élu le Président et le Premier Ministre qui est un ami notoire de Hollande et appartient au même parti.

Pourquoi donc avoir retenu le mot « respecte » ? On aurait plutôt attendu « applique », ou « concrétise ».

Il faut voir là un nouveau biais qu'on peut qualifier de « monarchique ». BVA introduit dans le regard sur le travail gouvernemental un prisme d'offense possible par rapport au chef de l'Etat qui n'y est absolument pas au départ, eut égard aux rapports entre l'Elysée socialiste et Matignon. On peut penser à la cohabitation, en République. Elle oppose des personnes et des camps. Elle ne tourne définitivement pas autour de l'honneur qui déclenchait les duels, au temps où on donnait une importance primordiale à l'offense. Elle était importante, effectivement, à l'époque où le chef de l’État était celui du royaume et les ministres membres d'une coterie courbée qu'on appelait la Cour.

Quelque part, le substantif "respecte" amène également le répondant à considérer que Hollande doit lutter - contre l'offense potentielle, contre le gouvernement pour imposer son « cap », son action. Rien n'est moins vrai aujourd'hui. Nous ne sommes pas en période de cohabitation et les ministres, non content d'être guidés fermement par le Premier Ministre, ont un devoir de réserve et d'obéissance qui tient à la nature actuelle de la Vème République, renforcée par l'ancien président. La formule bien connue de Chevénement, ancien ministre, illustre la situation : « Un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne ».

Globalement, on constate là un décentrage, encore, par rapport à la nécessaire neutralité d'un questionnaire. Lequel décentrage implique une vision proposée du chef de l'Etat comme du gouvernement, des instititutions, qui n'a pas grand-chose de républicain.

Dans le chapitre « répartition des efforts » , la question posée est :

Depuis l’élection de François Hollande et la nomination de Jean Marc Ayrault au poste de Premier Ministre, diriez-vous que le gouvernement…


Repartit équitablement les efforts demandés entre tous les Français

« équitablement » introduit une nuance qui altre le jugement possible en le limitant, car le répondant se voit interdit de penser : « répartit "justement", ou mieux, "également" ».

Dans le chapitre « rythme des réformes », la question posée est :

Depuis l’élection de François Hollande et la nomination de Jean Marc Ayrault au poste de Premier Ministre, diriez-vous que le gouvernement…


A cette introduction BVA ajoute trois modalités de réponse différentes.

Ne va pas assez loin dans le domaine des réformes - Mène les réformes à un bon rythme - Va trop loin dans le domaine des réformes

Le terme « rythme » n'est pas en relation avec le terme « loin ». Tous deux ne s'inscrivent pas dans le même champ sémantique. « Rythme » signifie comment sont articulées les réformes dans le temps ; « loin », lui, induit la quantité ou le type de réformes qui sont faites.

Il aurait été pourtant plus simple, apparemment, de proposer comme modalités : ne réforme pas assez – réforme suffisamment – réforme trop. Les termes induisent une confusion entre la façon de réformer et la nature ou la quantité de réformes engagées. Comme cette différence est plus compliquée que la formulation neutre, on peut penser que cela a été fait intentionnellement. Quel peut-être le but ?

Il faut garder à l'esprit que le vocabulaire employé par les sondeurs, les journalistes, les politiques a valeur prescriptive, d'autant plus que les mots, ou la syntaxe, les connotations apparaissent très régulièrement.

Une notion floue, « valise » s'imprimera en flou dans l'esprit public, ce qui permettra à chacun de mettre tout et n'importe quoi dans les mots, et donc de répondre comme le souhaite le sondeur, si celui-ci est assez habile pour mêler des substantifs flous avec tout une gamme de mots plus directifs – verbes, adverbes, adjectifs...

Le sondage disséqué n'est pas le seul à présenter des biais insidieux comme ceux que j'ai tenté de débusquer, et BVA n'est pas le seul institut à proposer des sondages défaillants sur le plan de l'objectivité. Sondage après sondage, les a-priori, les implicites comme la personnalisation, la mise en avant d'un esprit monarchique latent dans la Vème république viennent cogner toujours la même zone : l'esprit critique du répondant.

Malgré les critiques récurrentes, on attend toujours qu'une vraie réforme des instituts et des sondages soit conduite, ne serait-ce qu'en mettant au jour les méthodes employées.


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