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Syrie : Le général Manaf Tlass, qui a fait défection, ne veut pas d'intervention étrangère (par Wassim NASR)

Par Theatrum Belli @TheatrumBelli

J’ai eu l’occasion d’assister à l’entretien conduit par Ulysse Gosset pour BFMTV, Tony el-Khoury pour BBC Arabic et Christian Makarian pour l’Express avec le brigadier-général Manaf Tlass dimanche dernier à Paris. Cet entretien est le premier conduit par une télévision occidentale depuis l’annonce de défection du haut-gradé syrien.

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Plusieurs points ont été évoqués dans cet entretien (d’un peu moins d’une heure) avec cet officier qui fut à la tête de la 105ème brigade de la garde républicaine et qui avait ses bureaux au sein même du palais présidentiel à Damas.

Une fois sa loyauté mise en doute et malgré l’amitié qui le liait depuis l’enfance à Bachar al-Assad, le général Tlass fut retiré du service opérationnel et se contentait de rester à son bureau en signe de protestation.

Sa marginalisation au sein de l’appareil baasiste est due à ses contacts avec les rebelles et aux négociations entreprises avec eux dans différentes localités syriennes. Même s’il a conduit ses négociations au nom du régime - avant que le choix de la répression aveugle ne soit entériné - Tlass affirme avoir informé les rebelles de sa "rupture avec les autorités syriennes" et de son "intention de faire défection dès les premières heures de la révolution". Voici les points principaux évoqués lors de cet entretien et quelques clarifications :


L’exfiltration

Le général Tlass a confirmé encore une fois l’aide des renseignements français dans son exfiltration, tout en remerciant la France pour "son soutien au peuple syrien" et le président Hollande pour son choix de "continuer dans cette voie" (initiée par Nicolas Sarkozy).

Il ne donnera pas plus de précision sur la conduite de l’exfiltration dans le but de préserver ses soutiens qui "n’ont pas eu peur de lui tendre la main" depuis Damas et dans chaque étape de son périple.

L’intervention étrangère

Tout en dénonçant la répression et "le massacre" en cours, le général refuse une intervention directe des puissances étrangères en Syrie "le peuple syrien est capable de se libérer par lui-même … nous ne voulons pas être libérés ni par la France, ni par les Etats-Unis, ni par la Turquie". Il estime que "c’est au peuple syrien de marquer sa victoire". 

Pour lui le cas libyen et le cas syrien son "incomparables", étant donné que "la Syrie est beaucoup plus complexe". Par contre, Tlass réclame l’aide et l’assistance militaires nécessaires à la victoire de la rébellion.

Le danger djihadiste

Tlass considère que les djihadistes sont une minorité au sein de la révolution, "20% de la mouvance révolutionnaire". Il estime que "le régime essaie de convaincre l’étranger, l’Occident en premier, que ce mouvement est un mouvement extrémiste, alors que la réalité est tout autre, la Syrie n’est pas un pays extrémiste, elle n’a pas connu de mouvement extrémiste dans le passé ni dans le présent. Il y a 80% du peuple syrien qui aspire à la coexistence pacifique… c’est le régime qui exprime le souhait qu’il y ait Al-Qaïda pour justifier tout ce qu’il fait".

A savoir qu’au début de la contestation, au moment où les revendications étaient pacifiques, le régime a activé plusieurs leviers pour pousser vers la militarisation, pensant qu’il pourrait l’emporter sur l’arène du sécuritaire. Néanmoins, que ce soit l’œuvre du régime ou pas, les facteurs djihadiste et même terroristes existent désormais sur l’échiquier syrien. Sachant que l’enlisement du conflit dans la durée favorise la radicalisation et confirme cette tendance.

Les armes chimiques

Pour l’usage des armes chimiques, Tlass estime que "si ce régime qui massacre son peuple est acculé... il est possible qu’il utilise les armes chimiques".

Néanmoins, l’usage de ses armes consisterait à franchir une ligne rouge qui n’aura pas d’effets décisifs quant à l’issue du conflit à long terme, si ce n’est priver le régime de ses soutiens russe et chinois, donc ouvrir la porte à une décision du Conseil de sécurité. Ce qui fait qu’un tel recours lui sera complètement contre-productif, donc à exclure ; sans pour autant remettre en question la cruauté de la répression en cours.

Les alternatives

Tlass estime que la constitution d’un gouvernement n’est pas une nécessité pour sortir de la crise, "cela viendra à la chute du régime ou d’une manière parallèle à cette chute". Pour lui "le temps des dictatures est révolu, il faudrait que ce régime le sache. Ce peuple s’est révolté… il est de son droit d’aboutir à la victoire et de constituer le pays dans lequel il veut vivre… il faudrait arrêter le mensonge, il faudrait arrêter cette fuite en avant, il faudrait dire à ce régime stop, c’est fini, cela suffit… il est temps d’écouter la voix du peuple, les temps ont changé, le monde a changé".

Le plus important dans cet entretien demeure dans le dévoilement du rôle qui se dessine pour Tlass. Il l’a résumé en quelques mots : "mon rôle consiste à unifier, à rassembler mon peuple". Son souhait est de "constituer un groupe compact pour mettre ce régime en échec". 

On sent que Tlass souhaite gagner la sympathie de la rébellion à défaut de gagner celle de l’opposition. D’un autre côté et avec une émotion lisible sur son visage, - quand il évoque les pertes qu’essuie l’armée dans ce conflit - il tente de rassurer l’institution militaire en la qualifiant "d’armée nationale qui doit prévenir la chute de l’Etat et le protéger, ce n’est pas une armée familiale [famille Assad]". Il tente aussi de rassurer la minorité alaouite quant au sort qui leur sera réservé à la chute du régime, en la dissociant de l’entreprise familiale des Assad et d’Assad lui-même.

Message à Bachar al-Assad

Alors qu’il a toujours été mesuré dans sa description d’Assad et de sa responsabilité dans la répression, cette fois-ci le général Tlass n’a pas été clément à l’encontre de son ami d’enfance : "Bachar al-Assad n’a écouté aucun conseil, il n’écoute que son cercle familial très rapproché… c’est un tyran… l’histoire retiendra qu’il était un dictateur et qu’il était en plus prisonnier de son premier cercle". Quand on lui demanda s’il a un message à adresser au président syrien, il dira : "qu’il agisse comme un héros, qu’il fasse son bilan personnel et qu’il regarde où il a mené la Syrie… il faut qu’il s’arrête à ce tournant pour qu’il puisse se protéger lui et sa famille… c’est comme ça qu’on protègera la Syrie, il faut qu’on pense à la Syrie et non aux personnes".

Avant la tenue de cet entretien, beaucoup de rumeurs ont circulé au sujet du général Tlass. J’étais même parmi ceux qui ont mis en doute sa démarche, croyant en une énième manœuvre du régime… Il est vrai que son père fut une des plus imminentes figures du règne d’Hafez el-Assad (père de l’actuel président), il est vrai aussi que les Tlass ont profité des largesses du régime. Néanmoins, et même si en temps de guerre les bonnes intentions ne suffisent pas à pallier la réalité d’un conflit qui se complique de jour en jour, je tiens à dire que j’ai été frappé par l’humilité et la sincérité de cet homme tellement confiant en l’inévitable victoire de la rébellion et en la capacité des Syriens "forts d’une civilisation millénaire" à dépasser les clivages des dernières heures.

Wassim NASR


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