Un Juif improbable, par Dominique Moïsi

Publié le 13 septembre 2012 par Mpbernet

« Trahison, fuite, réconciliation. » Ainsi résume lui-même l’auteur de « Un Juif improbable » l’itinéraire de sa vie – celui d’un homme chanceux mais pas celui d’un enfant gâté. Et c’est ainsi que je l’ai reçu.

Tous ceux qui s’intéressent peu ou prou à la marche du monde à travers les relations internationales connaissent Dominique Moïsi, un des membres fondateurs de l’IFRI, assistant puis fils spirituel de Raymond Aron, expert en géopolitique de renommée mondiale. Et moi, je le connais un peu plus puisque nous sommes nés le même mois de 1946 et que nous avons passé ensemble l’année préparatoire à Sciences Pô. Comme nos noms avaient la même initiale, nous planchions non loin l’un de l’autre.

Maintenant que j’ai lu cette autobiographie, je mesure combien cet exercice de mise à plat, sinon à nu, a dû coûter à cet homme tout en nuances, en discrétion, à la voix douce et au regard bienveillant. Une catharsis nécessaire, en tous cas, pour mieux analyser, et faire comprendre aux autres, sur le versant ultime de la vie, comment coexister, puis concilier, enfin affirmer cette triple appartenance, cette identité complexe de Français, Juif et Européen.

Moi qui m’intéresse particulièrement à la pensée juive, je ne me doutais pas à quel point il était difficile de se situer, combien il fallait de temps et de réflexion, de résilience aussi, au fils d’un rescapé d’Auschwitz, pour pardonner à l’Allemagne les horreurs de la Shoah. Il apparaît, à la lecture de ce livre, que c’est encore plus douloureux pour le fils d’un survivant que pour les survivants eux-mêmes, car je n’avais pas ressenti à ce point cette souffrance à travers le témoignage de Simone Veil.

Lire ce livre constitue aussi, pour moi, un formidable « rewind » du film de ma jeunesse : nous partageons les mêmes idées politiques, les mêmes enthousiasmes et les mêmes inquiétudes sur l’avenir de notre monde civilisé, nous avons vécu les événements de ces soixante dernières années avec les mêmes « tripes ». Mais lui est un « sachant », moi une ignorante. Son parcours de vie m’a étonné, mais je ne suis pas surprise qu’il ait choisi de confirmer son ancrage en France, malgré sa légitime tentation, pendant trois ans, de se fixer en Israël. Car il est un pur produit de la France républicaine, cet homme-là, même si ses attaches familiales l’enrichissent d’une histoire millénaire, imbriquée dans celle de sa famille, reconstituée avec minutie et lucidité.

Les relations complexes avec son père, revenu des camps et « soigné » par Mengele, les emportements de Lottie, sa mère, convertie dans les années 30 au catholicisme, prénommée Agnès en dehors de la maison et qui lui a transmis une évidente passion artistique, Sciences Pô, Harvard, l’Université hébraïque de Jérusalem, les succès, les échecs, la rencontre – pudiquement évoquée – avec la femme de sa vie, chercheuse et écrivain : Dominique Moïsi ne cèle rien, on croirait entendre la musique de sa pensée et de sa voix posée et précise, voir son regard plein de bonté….

Et il n’a pas fini de nous en apprendre sur le monde, cet homme-là, alors écoutons-le !

Un Juif improbable, autobiographie de Dominique Moïsi, édité chez Flammarion, 349 p. 19€

Merci pour vos présentations de livres et vos commentaires qui m'aident à choisir mes lectures.

Ce "Juif improbable" me semble particulièrement passionnant, je vais certainement lire cette autobiographie.

Continuez ainsi.
Bonne journée.
Angèle