Larissa Sansour, Nation Estate, 2012
Un État palestinien, c'est ce que vous pourrez enfin découvrir au 43 de la rue de Montmorency (jusqu'au 20 octobre). Oh, il n'est pas très étendu, seulement un petit kilomètre carré au sol, mais il regroupe toute la population palestinienne, les millions de réfugiés, désormais définitivement expulsés de chez eux et regroupés (pour ne pas dire concentrés...) dans un gratte-ciel de plusieurs dizaines d'étages, entouré de toutes parts par l'infâme Mur et cerné de projecteurs et de miradors israéliens.
Larissa Sansour, Nation Estate, Main Lobby, 2012
Au sous-sol du gratte-ciel, bien sûr, la Mer Morte ou ce qu'il en reste; la Méditerranée, au dessus de laquelle un hélicoptère israélien patrouille, est au 14ème. Les expulsés de chaque ville sont logés étage par étage : pour aller de ville en ville, au lieu des blocages et des humiliations aux checkpoints israéliens, on prend l'ascenseur (dans lequel la publicité vante le tourisme à Gaza), net progrès. Enfin, the high life !
Larissa Sansour, Nation Estate, Jerusalem floor, 2012
Sur chaque palier, des reconstitutions de ce qui fut : au 4ème le Dôme du Rocher de Jérusalem, au 12ème la place de la Mangeoire de Bethléem. Ce n'est que par la fenêtre qu'on peut apercevoir la réalité, le pays désormais inaccessible, cet univers figé et dépossédé. On peut même faire pousser un olivier dans son salon, ultime souvenir du pays qui n'est plus. C'est un monde aseptisé, froid, comme si cet enfermement avait fait s'étioler la vitalité bordélique qu'on rencontre aujourd'hui à Ramallah ou à Naplouse.
Larissa Sansour, Nation Estate, Manger Square, 2012
Larissa Sansour travaillait sur ce projet pour le Musée de l'Elysée lorsque le sponsor Lacoste tenta de la censurer : le Musée décida alors, face à la vague de protestation d'annuler le prix, mais, contrairement à ce qui fut alors annoncé, il n'organisera pas d'exposition de son travail en compensation. Mais les Palestiniens ont appris à rebondir, et ce travail est donc montré aujourd'hui à Copenhague et à Paris. Un film très science-fictionnel et sept photographies à l'atmosphère irréelle (plus le poster ci-dessus et une maquette de la tour) montrent le retour d'une jeune femme (l'artiste, vêtue d'un habit façon Star Wars) chez elle, dans la tour, à l'étage 'Bethléem', où elle se confectionne un plat traditionnel (la nourriture joue un grand rôle dans son travail, d'ailleurs). Ce travail s'intitule Nation Estate, ce qui veut aussi dire l'immobilier-nation (comme dans 'real estate').
Larissa Sansour, Nation Estate, Mediterranean, 2012
Face à l'impasse politique, seul l'humour peut sauver, et ce peut être une arme bien plus redoutable que les pierres ou les mots : c'est sans doute ce qui a effrayé Lacoste et qui effraie aujourd'hui les tenants de la colonisation. Bien sûr l'art est politique, et il faut être bien naïf -ou, plus souvent, bien machiavélique- pour prétendre le contraire.
Larissa Sansour, Nation Estate, Olive Tree, 2012
Larissa Sansour avait déjà réalisé une autre pièce de science-fiction politique, Space Exodus, une revisite palestinienne au XXIème siècle de l'Exodus; il y a d'ailleurs dans la galerie de très jolis palestinautes.
Lire Pierre Haski et Omar Kholeif.