Lorsque Cab Calloway entame sa série de galas le 22 mai 1958 à l’Olympia de Paris, cela fait quelques années qu’il n’est pas revenu en France. Il y avait eu 1934 à l’occasion de la tournée européenne du Cotton Club, puis quelques semaines à l’Empire avec Porgy and Bess en 1953. Il existe quelques documents sur cette série de concerts donnés dans un Paris troublé par les « événements » en Algérie dont les répercussions en métropole risquent de déboucher sur une insurrection dans la capitale. C’est aussi l’occasion de voir comment se déroulait une soirée-spectacle dans le nouvel Olympia rouvert en 1954 par Bruno Coquatrix.
Oubliez le Cotton Club : « Surprise-party chez Lily »
est ce qui a rendu célèbre Cab Calloway
Eh oui, faites-vous à l’idée que pour vendre Cab Calloway au public français, l’auteur du programme de l’Olympia n’a rien trouvé de mieux qu’il est connu en France pour deux raisons : « son apparition dans ‘Porgy and Bess’ à l’Empire, en 1953, où il fut l’étonnant bandit Sportin’Life, et la célèbre chanson de Roger-Pierre ‘Surprise-Party’ où il est question à chaque refrain du ‘dernier disque de Cab Calloway’ ».
Pour ceux qui ne connaitraient pas encore ce chef-d’œuvre de la variété française, The Hi de Ho Blog a déjà écrit un article complet, véritable exégèse de ce titre enregistré de 1955 par le duo comique, Odette Laure et André Duvaleix.
Cab Calloway accompagné par Gaston Lapeyronnie
sur la scène de l'Olympia
Aucun musicien de l’orchestre originel
Déclarant dans le programme de l’Olympia que « le goût du public a évolué, et qu’il préfère aujourd’hui le culte de la vedette à celui d’une troupe ou d’un orchestre. » Question de coût également et l’auteur du programme rame un peu pour expliquer que « Paris aura la chance de voir cet homme-Protée du spectacle sous son tout dernier aspect : dans un grand numéro solo. »
En dehors des aspects de coût, on peut également supposer que des questions syndicales peuvent avoir freiné l’envoi de musiciens américains sur le sol français. Quand il tournait dans certaines parties du monde, il n’avait en effet pas le droit d’emmener avec lui son orchestre, ou alors seulement 3 ou 4.
Cab Calloway chantant ses tubes à l'Olympia
Un tour de chant d’une heure maximum.
Lorsque l’on voit effectivement le programme de la soirée, la partie dévolue à Cab ne doit pas durer plus d’une heure. En observant les titres enregistrés officiellement par Cab Calloway au cours de cette période, on peut imaginer quelques-unes des chansons entonnées à Paris :
- Quelques vieux classiques de son répertoire : Minnie The Moocher, St James Infirmary, The Jumpin’ Jive, Stormy Weather, The Hi de Ho Man That’s Me
- Un ou deux titres tirés de Porgy and Bess de Gershwin : It Ain’t Necessarily So, Summertime
- Quelques « nouveautés » : I’ll Be Around, I See A Million People
- Et sans doute quelques morceaux afro-cubains comme il les affectionnait à l’époque.
Les arrangements étaient sans doute ceux du fidèle Eddie Barefield qui avait repris du collier avec Cab après Porgy and Bess. Il restera d’ailleurs le directeur musical de Cab jusqu’à la fin des années 70.
Un programme chargé et plein de surprises.
S’y trouvent également mêlés de jeunes pousses prometteuses telles que Les 3 Galanes (orchestre cubain), Michèle Matey, Billy Nencioli, Francis Claude et Jacqueline Maillan. Malgré un disque au titre porteur comme « La zigouillette », c’est cette dernière qui connaîtra vraiment la célébrité (même si l’on doit à Francis Claude d’avoir poussé Serge Gainsbourg sur scène…).
Cab Calloway dans sa loge de l'Olympia
(photo : André Sas)
Qu’en pense la critique ?
Pas grand chose, en tout cas je n’ai pas trouvé beaucoup de traces dans les journaux si ce n’est une coupure non identifiée envoyée par un ami collectionneur :
« Le public parisien a pu apprécier le talent du chanteur Cab Calloway, vedette du programme de l’Olympia depuis le 22 mai. Cab, qui fut l’un des plus populaires figures de Harlem il y a trente ans, reste un vocaliste dynamique et fort sympathique. Malheureusement, cet homme qui, autrefois, dirigeait l’un des meilleurs grands orchestres de l’époque avec des solistes comme Jonah Jones, Chew Berry et Cozy Cole, dut se contenter pour ce spectacle de la formation de fosse du music-hall. Le style baroque, désarticulé et excentrique de Cab réussit néanmoins à passer la rampe et donna l’illusion que ses accompagnateurs swinguaient. Ses vocalises dans le genre ‘hideho’ rappelèrent aux amateurs qu’il fut le créateur du mot zazou et le père spirituel de toute une génération. »
Comme à chaque concert, les disques vendus ce soir-là à l'Olympia
sont nantis d'un sticker souvenir du music-hall.
Un engagement écourté ?
Comme le signale le journal The Afro American dans son édition du 28 juin 1958, les galas de Cab à Paris tombèrent au « moment où la crise politique était la plus intense. Les gens étaient trop perturbés et nerveux pour se rendre aux spectacles, et le roi du Hi-de-Ho a dû jouer devant beaucoup de sièges vides. »
Il ajoute même – mais cela reste à vérifier, les programmes annonçant du 22 mai au 9 juin – « qu’il était booké pour trois semaines, mais qu’à la fin de la deuxième, lui et la direction décidèrent d’arrêter les frais. (…) L’engagement fut alors écourté et Cab et sa femme quittèrent la ville un peu découragés. Coup d’arrêt brutal pour Cab mais, faut-il s’en consoler, les autres théâtres et night-clubs ont subi le même châtiment. »
Billie Holiday aura plus de chance que Cab, quelques mois plus tard lorsqu’elle montera sur la scène de l’Olympia. Et ses fans aussi puisqu’il existe des images d’actualité et même des enregistrements de son passage sur cette scène mythique qu’est la salle de Bruno Coquatrix.
Le prochain passage de Cab Calloway en France ne se passera qu’en 1977 au Festival de Nice où on fêtera dignement le retour du roi du Hi de Ho.
Ensuite, Cab Calloway reviendra à l’Olympia en 1987 et en 1992. Le concert du 8 juillet 1992 sera d’ailleurs l’ultime donné en France.
13-09-2012 | Envoyer | Déposer un commentaire | Lu 134 fois | Public