Comment définir la censure ? Dans quels domaines s'exerce-t-elle ? Qui l'impose ? Sous quelles formes ? Pour répondre, des philosophes, des juges, des avocats, des essayistes se sont penchés sur la question et illustrent leurs propos d'exemples concrets et d'anecdotes étonnantes.
Emmanuel Pierrat dit tout...
La censure s'exerce-t-elle avec plus de force aujourd'hui qu'hier ?
Emmanuel Pierrat : Sans aucun doute. Hier, dans le monde de l'édition par exemple, tout le monde savait où campait l'ennemi : au ministère de l'Intérieur, qui risquait de faire interdire tout ouvrage jugé contraire à la morale publique. Désormais, il existe une multitude de petits censeurs qui n'auraient pas imaginé se manifester il y a vingt ans : des entreprises, des associations, sans oublier les ligues de vertu en tous genres. Il y a à la fois dissémination et privatisation de la censure.
Les méthodes ont-elles changé, elles aussi ?
Emmanuel Pierrat : Elles passent toujours par la poursuite judiciaire mais les demandes ont évolué. Aujourd'hui, il n'est plus question d'emprisonnement ou même d'autodafé. Les censeurs réclament avant tout d'important dommages et intérêts. L'Opus Dei a attaqué récemment Camino 999, un roman policier publié par une petite maison d'édition. Il réclamait un million d'euros. Il a certes perdu en première instance, mais son but était de dissuader d'autres publications de tonalité critique. A terme, ces attaques répétées au porte-monnaie engendrent des phénomènes d'autocensure dans tous les domaines. J'ai eu à relire un livret d'opéra intitulé Marianne inspiré par l'affaire Elf. Les rapprochement avec des personnages réels rendaient l'entreprise trop risquée. Cette oeuvre est restée au fond d'un tiroir.
Quels conseils donneriez-vous pour échapper à la censure ?
Emmanuel Pierrat : Prévoir l'attaque même là où on ne l'attend pas. Dans le procès intenté par la Ligue islamique mondiale contre Michel Houellebecq, la Ligue des droits de l'homme s'est constituée partie civile contre l'écrivain le jour même de l'audience. Un drôle d'attelage. D'autant plus que l'un des membres du conseil d'administration de cette même Ligue des droits de l'homme, Dominique Noguez, témoignait en la faveur de Houellebecq. Cette affaire démontre que la littérature est aussi concernée, tout comme le cinéma, le théâtre ou même l'organisation d'événements culturels. Car il ne faut pas non plus que l'exposition d'un tableau ou d'une sculpture heurte la sensibilité d'une "communauté".