Une foi n'est pas coutume, j'ai lu un livre de la rentrée littéraire. Bon d'accord, j'ai triché, il s'agit du nouveau Chevillard. Triché ? Le livre, paru il y'a à peine une semaine, ne ferait pas partir des 674000 livres de ladite rentrée ? Si, bien sur, si l'on considère qu'un Chevillard pourrait intégrer le bal. Pour ma part, j'ai franchement du mal à l'y inclure, ne serait ce que par l'entêtement de notre auteur à maintenir un sillon non pas fermé mais fermement entretenu, poursuivie avec l'insistance de l'entomologiste hypnotisé par la fourmi. Et je ne dis pas fourmi au hasard bien sur (comme j'aurai pu dire orang-outan ou ouistiti), mais bien parce que la fourmi, sa poursuite éperdue, est un des axes majeur de L'auteur et moi, le nouvel opus chevillardien (on y parlera également de gratin de chou-fleur et de truite aux amandes).
Chevillard, notre grand ironiste, sort un nouveau livre, et déjà nous voilà hors de la mêlé, nous revoilà plutôt retrouvant notre fauteuil au sein du fan club d'Éric Chevillard. Fan club ? J'ai pour ma part découvert l'olibrius il n'y a pas si longtemps, et si j'ai d'abord cru aux quelques réticences que me provoquait sa lecture, j'ai su depuis faire fis de ces maigres objections qui n'étaient autres que le fruit d'une vieille paresse de ma part, celle du petit lecteur provincial benoitement assis dans des habitudes qu'il a parfois peur - ou tout simplement la flemme - de voir remises en questions. Depuis, j'ai pris ma carte au parti, et ne me lasse plus du système chevillard.
Le système Chevillard ? Oui c'est un véritable système que la fiction chevillardienne, le lecteur en est un maillon fondamental (alors qu'en observant la rentrée littéraire on se demande si c'est le cas), puisque le système exige la complicité dudit lecteur (thème connu, certes mais indéniablement renouvelé chez l'auteur qui nous occupe).
Or, avec L'auteur et moi, ne voilà t'il pas que le système Chevillard est mis-en-scène, convoqué directement sur le plateau. Moité thèse délirante sur les méfaits du gratin de chou-fleur, moité exercice d'auto-critique des plus savoureux (contrairement à cette ignoble pataugeoire à grumeaux qu'est le gratin de chou-fleur), le livre balade le lecteur entre anecdotes grotesques et hilarantes et confession douteuses d'un auteur qui n'est pas (tout à fait) Chevillard, et qui via ce bon vieux procédé de la note en bas de page, se pique d'interrompre à tout bout de champ le récit afin d'en nuancer, d'en infirmer ou d'en préciser les tenants et aboutissant, prétendant ainsi mettre à jour les rapports parfois incestueux entre l'auteur et son personnage. Car Chevillard nous le dit: ne croyez pas ces prétentieux, ces ridicules, ces auteurs à la petite semaine qui viennent se la raconter avec leurs histoires de personnages qui leur échappent. Quel mensonge grossier, se gausse notre auteur. Et de se lancer dans la démonstration argumenté de l'inanité d'une telle prétention. Ainsi, avec un didactisme suspect, l'auteur analyse le texte en temps réel, y souligne point commun et différence entre le personnage du roman et l'auteur. C'est un jeux d'équilibriste entre deux faux Chevillard, le personnage de fiction d'une part et l'auteur qui commente d'autre part. C'est (mais faut-il encore le préciser) hilarant, intelligent, bref c'est ce que l'on appellerai d'une manière un peu vieillotte, un bonheur de lecture.
Il n'y a, au fond, pas beaucoup plus à dire (du moins ici, sur ce modeste blog) sur ce livre, car tout est déjà dedans, le livre et son commentaire. C'est pratique, cela fait gagner du temps. Sauf que le commentaire aussi déraille (au moins autant que le récit en lui-même). En effet la note n° 26 occupe quasiment la moitié du livre. Il y est soudainement question d'un type qui poursuit une fourmi. Qui est-il ? Et bien le même personnage, celui qui a comme un problème avec le gratin de chou-fleur, mais transbahuté ailleurs, dans un autre contexte, une autre histoire (encore que le spectre du gratin honnis, là aussi, est à l'affut). Parce que non, vraiment, un personnage ça ne s'échappe pas, la preuve, on en fait ce que l'on veut, où l'on veut. On le mène en bateau.
L'auteur et moi c'est à tout point de vue du Chevillard du meilleur tonneau, et même si le livre est truffé de références aux autre livres du meilleur écrivain français (ce n'est pas moi qui le dit, c'est Pierre Jourde, mais il a bien raison), ceux qui n'ont pas encore la chance d'intégrer le fan club trouveront peut-être ici l'occasion de mordre à l'hameçon.