Les chroniques du Journal du Gamer invitent régulièrement des personnalités à réfléchir sur l’actualité du jeu vidéo. Cette semaine, Alvin Haddadène, journaliste, décrypte pour nous le tout nouveau positionnement d’Ubisoft sur le marché des jeux free-to-play. L’éditeur s’est en effet montré très agressif sur ce secteur en révélant plusieurs titres d’envergure lors de son événement parisien du 9 septembre dernier dédié aux jeux dématérialisés.
Pour Ubisoft, le monde du jeu vidéo se divise en deux. D’un côté, l’univers idyllique des consoles où les jeux sont chers et les joueurs friands de DLC, prêts à se ruiner en coûteuses éditions collector et précommandes sur les seules promesses d’un trailer. De l’autre, il y a l’enfer du PC, une terre peuplée de pirates et de joueurs exigeants qui ne manquent jamais une occasion de râler, soit à cause des DRM, soit à cause des retards, soit à cause des portages bâclés. Un portrait bien noir des « PCistes » décliné à longueur d’interviews pour justifier reports, annulations et politique ultra-sécuritaire des DRM, le tout appuyé par des chiffres inquiétants (on pense au taux de 95 % de jeux piratés révélé à GamesIndustry en août 2012) .
Pourtant, en dépit de multiples déclarations qu’on ne les reverrait plus de sitôt sur PC, Ubisoft est toujours présent sur le support et vient même de passer à la vitesse supérieure. Lors du « Digital Days » qui s’est tenu à Paris début septembre, l’éditeur français a présenté l’ensemble de ses nouveautés destinées au marché du dématérialisé. Et si les jeux XBLA et PSN était remisés dans de petites salles exiguës, une alléchante collection de free-to-play exhibait ses beaux graphismes et ses gameplays variés et exigeants. Bipolarité ? Schizophrénie ? Masochisme ? Toutes les hypothèses sont les bienvenues. Plus sérieusement, Ubisoft a enfin pris conscience de l’urgence d’adapter sa stratégie commerciale au support PC. Et pour éviter les piratages, quoi de mieux qu’un jeu accessible directement dans votre navigateur ?
Fidéliser de nouveaux joueurs, conserver les anciens
L’éditeur français a choisi astucieusement les licences qui vont être déclinées en gratuit. Might & Magic, Anno, Silent Hunter, Ghost Recon, quatre franchises nées sur PC et quasiment exclusives au support. Hormis Might & Magic Raiders, un hack’n'slash mignon, et Might & Magic Duel of Champions, jeu de carte stratégique, Ubisoft a choisi de proposer des adaptations fidèles des jeux originaux, tant au niveau des graphismes que de la richesse de la jouabilité. L’éditeur vise ainsi deux publics : les inconditionnels, qui seront ravis de pouvoir pratiquer leur jeu favori au bureau, et les nouveaux venus qui n’auraient jamais payé le prix fort et découvriront ainsi la licence.
Seul The Mighty Quest For Epic Loot fait figure de nouveauté. Il s’agit d’un dungeon-crawler coloré et bourré d’humour où tantôt on fabrique ses propres donjons truffés de monstres et de pièges, tantôt on arpente ceux de ses amis à la recherche de leur trésor ultime. Rempli de bonnes idées et assurément délirant, le jeu n’aurait probablement pas été mis en route s’il avait fallu le vendre de façon traditionnelle. Trop gamer et old-school, le bébé d’Ubisoft Montréal n’avait pas de raison d’être en version boite. Alors qu’en browser-game, il impressionne.
Côté micro-transactions, Ubisoft semble avoir fait ses devoirs. Les gemmes que l’on pourra se procurer pour quelques euros n’influeront que sur la durée des constructions et l’aspect esthétique des éléments de construction des donjons. De plus, il sera possible de mettre à niveau, le temps d’une partie à deux, un copain moins avancé. Les joueurs vraiment patients ne devraient donc pas se sentir défavorisés.
Trailer The Mighty Quest For Epic Loot
Le bonheur est dans le gratuit
Longtemps méprisé et considéré comme une simple tendance qui finirait par s’essouffler, le free-to-play apparaît aujourd’hui comme le modèle économique le plus pertinent pour essayer de nouvelles choses sur PC, et Ubisoft l’a bien compris. On a longtemps entendus les arguments des joueurs réfractaires : ils ne sont pas de vrais jeux, ils ne visent qu’à traire les joueurs, ont des mécaniques sans intérêt… Des à priori appliqués hâtivement à bien trop de productions, jusqu’à ce que ces dernières années les contre-exemples se multiplient (Tribes Ascend, League of Legends, Allods Online…) et le seront encore plus dans les mois à venir (Planetside 2, Hawken, Star Wars : The Old Republic…).
Ensuite, il faut voir tous les avantages qu’ont, pour un éditeur, les free-to-play par rapport aux productions classiques. D’abord, les coûts de productions sont assez bas, notamment pour les browser-game en flash, limitant ainsi la prise de risque financière par rapport à un gros projet de type triple-A en 3D. Deuxième argument, la gratuité et les aspects online font totalement disparaître les problèmes de piratage. Enfin, alors que le tarif d’un jeu en boîte dégringole au fil des mois, le prix des micro-transactions d’un F2P reste lui constant, ce qui facilite grandement la rentabilisation du titre.
Trailer Ghost Recon Online