Cheminée géodésique …
Ou le cheminement dans une recherche progressive.
Un fidèle lecteur du blog Lorraine de Cœur m’avait interpelé afin de savoir si la tour se dressant au sommet du Spiémont (commune de Champdray dans les Vosges) était une cheminée ou une tour, et quel pouvait en avoir été l’usage et de quelle époque elle pouvait dater.
J’étais passé au Spiémont, mais sans garder un souvenir particulier de cet édifice. Je me suis mis en rapport avec quelques personnes qui, chacune, a tenté d’apporter une réponse à mon questionnement. L’un a parlé de guerre et de signaux faits entre deux armées, l’autre a précisé qu’il s’agissait de signaux de fumée. Un autre a avancé qu’il s’agissait de la guerre de 1914 – 1918. Un autre de la Deuxième guerre mondiale. Ou peut-être encore plus anciennement … Allemands ? Américain ? Français ? Les acteurs restaient dans le flou le plus complet. Des informations presque vraisemblables comme l’évocation de ces Indiens ayant été utilisés dans les services de renseignements américains et dont parle le film Windtalkers (Messagers du vent avec Nicolas Cage), mais qui n’employaient pas de fumée …
Chacun de ces renseignements permettait cependant d’approcher petit-à-petit l’explication la plus plausible, sans qu’elle soit définitive. Une visite au café-épicerie de Champdray a fini par donner réponse à l’énigme. Une liasse de feuille au contenu mystérieux me fut confiée par la patronne du café. Il y avait là des photos d’autres constructions semblables à celle visible au sommet de ce point haut (809 mètres) et surtout la mention d’un site : http://cfpphr.free.fr/geodesie.htm .
Ce qui est indiqué comme « La Tour » au début de la montée pédestre vers le sommet du Spiémont est en fait une CHEMINÉE GÉODÉSIQUE mise en place par les services cartographiques de l’armée dès le XIXe siècle afin d’établir de manière fiable les fameuses CARTES D’ÉTAT MAJOR. Ici, il s’agit d’une construction faite pour durer. Des pierres taillées, de la forme d’un gros parpaing d’aggloméré, constituent l’essentiel de l’ouvrage. Quelques briques de ciment en forment la partie supérieure. Le tout jointoyé comme pour défier l’éternité.
Le « conduit de cheminée » ne sert en fait pas du tout à faire des signaux de fumée. Il n’y a pas de place pour mettre un dispositif stoppant à volonté l’émission de fumée. Bien sûr, des promeneurs ont placé des bûches dans la partie basse de l’ouvrage. À demi-calcinées, elles peuvent donner l’illusion d’une cheminée. Mais qui chaufferait quoi ? Il n’y a aucune autre construction aux alentours.
Ce conduit sert à mettre à l’abri du vent le fil d’un fil-à-plomb nécessaire pour obtenir une parfaite verticale du lieu, à partir de quoi les officiers cartographes pouvaient faire des repérages et prendre des mesures d’angle utiles pour la réalisation des cartes au 1/80 000e en hachures telles qu’on les connaît depuis le premier tiers du XIXe siècle. Des cartes en ma possession portent la date de 1835 (révisée juste avant la première guerre, en 1911 ou 1912), « Levée par les Officiers du Corps d’État-Major, et publiée par le Dépôt de Guerre en 1835. Imprimerie Zincographique du Service Géographique de l’Armée ».
Le lieu d’implantation de ces cheminées géodésiques étaient réputé secret militaire, bien que figurant sur les cartes. Un triangle équilatéral avec un point en son centre, et souligné par un nombre indiquant l’altitude du lieu figure un « point trigonométrique ». Ailleurs, un cercle possédant le même point figure « un clocher ayant servi de point trigonométrique ». Ne me demandez pas de vous donner un exemple de l’utilisation de la trigonométrie en cette occurrence. Mes études secondaires sont un peu loin … De plus, ces calculs – et donc les cheminées géodésiques qui les permettaient – n’ont plus cours tels quels. Ils ont été remplacés d’abord par des travaux cartographiques à partir des photographies aériennes et, désormais, par les satellites artificiels qui circulent au-dessus de nos têtes.
Une recherche sur Internet avec « cheminées géodésiques » donne des exemples et une multitude d’explications plus passionnantes les unes que les autres. En particulier, un site donne des informations relatives à une telle cheminée dans les Vosges (Rehaincourt au NE de Châtel-sur-Moselle) et son fonctionnement ainsi que la liste des cheminées en France, par département : fr.wikipedia.org/wiki/Cheminée_géodésique
Le Spiémont porte quant à lui parfaitement son nom. C’est le mont d’où l’on regarde [spie vô = regarde (voir)]. Le château de Bruyères peut être informé de ce qui se passe sur les crêtes, information relayée par exemple par Giropaire au-dessus de la vallée de la Vologne.
Une initiative locale fort intéressante a vu le jour cette année 2012 : une table d’orientation a été dressée à proximité de la cheminée géodésique. Tout un pan de la montagne a été débroussaillé et la vue vers la chaîne des Vosges est splendide. Il suffit d’y aller (1/2 heure, à pied depuis le village de Chamdray, par un chemin caillouteux, mais très aisé).
On le voit, des informations disparates, au premier abord fort éloignées de la réalité, ont permis de fournir une réponse à la curiosité de l’observateur. Rien ne dit qu’à un moment où à un autre, ces cheminées n’aient servi à transmettre des messages. Leur positionnement le permettait. En en faisant la visite, chacun participe à ce que le patrimoine culturel (et ici, militaire) soit conservé et demeure vivant …