Protection chapitre 3, une fanfic sur la série Sherlock

Par Kaeru @Kaeru

C'est mercredi, et dans l'étang, voici la suite de la fanfic sur Sherlock.
Pour lire le début : 01 - 02
N'hésitez pas à laisser vos impressions, c'est motivant !
chapitre 3
Par la fenêtre, il pleut.
Cette année, le mois de septembre est particulièrement morose. L'automne s'installe déjà dans les températures frisquettes et l'humidité persistante.
Je décide de rester encore un peu à l'hosto. J'ai de la paperasse à boucler. La lumière du plafonnier jette des ombres menaçantes sur mes dossiers. Dehors, il fait nuit. L'eau éclabousse le bas des vitres, dessine des rivières qui sillonnent en fonction du vent. Plus passionnant que les lettres qui dansent devant mes yeux. L'heure de natation ce midi m'a fatigué. J'ai l'épaule gauche un peu ankylosée.
Je ne me préoccupais pas vraiment de mon apparence physique avant. À l'armée, j'avais d'autres priorités. De retour dans le civil, la présence de Sherlock, adepte du yo-yo vestimentaire entre ses costumes cintrés pour affronter le monde et ses tenues ou absences de tenue à la maison, a été un rappel de mon âge, de mon manque de prestance. Je suis de ceux qui restent en retrait, en seconde ligne. Sur le terrain, j'arrivais après la première salve. Pas après la bataille, mais jamais en premier.
Avec Sherlock à mes côtés, je suis soudain devenu plus intéressant, plus visible. Je suis toujours surpris de voir que mon blog, ma plume, mes histoires, intéressent encore, même s'il est parti. Je me sens tellement normal, banal...
Tellement terne sans lui pour colorer mon quotidien.
Le boucan de la pluie accompagne agréablement mon humeur. Après trois ans, je m'en veux toujours.
Je suis le dernier à qui il s'est confié ! Si j'avais dit autre chose, prononcé la phrase juste, le mot magique pour qu'il reste sur son putain de toit. Pour qu'il m'attende. La balistique était formelle, Jim Moriarty s'est suicidé. Une fin surprenante pour un des plus grands criminels de notre temps, si on excepte ceux qui nous gouvernent et déclenchent des guerres sur des prétextes fallacieux – oui je suis militaire, mais tuer des gens n'est pas la réponse adaptée à tous les maux de l'humanité – ou les abrutis de fanatiques religieux... Moriarty était un génie. Un génie du calibre de Sherlock. Et c'est là que je me sens inutile, stupide. Il s'est passé quelque chose que je ne comprends pas.
J'ai bien tenté les premières semaines de mener mon enquête. Mettre de côté la douleur qui m'étouffe, chercher des indices. Lire le rapport d'autopsie. Je n'ai pas touché au corps. Je ne sais pas comment Molly a fait... C'est elle qui s'en est occupé. Je lui suis si reconnaissant...
J'ai fouillé dans le passé propret de l'acteur Moriarty, façonné avec brio. Irréprochable. Des milliers de pages de dossiers, des entretiens falsifiés, des témoins terrifiés, morts ou muets. Lestrade m'a aussi beaucoup aidé, malgré la tempête qui lui est tombée dessus.
Ses supérieurs l'ont accusé d'incompétence, impliquant même une possible trahison. De la corruption. Et finalement, je suppute que Mycroft a dû intervenir. Sinon, il aurait rendu son badge. Aujourd'hui, tout espoir de promotion est gelé. Lui qui rêvait de devenir commissaire...
Pour moi, c'est différent. Mon passé militaire et les avis positifs de la brigade (sauf Anderson, faut pas croire au père Noël) ont joué en ma faveur. La situation était devenue un tel imbroglio politique et juridique que j'ai lâché. La presse, toujours prompte à mettre au pilori le héros qu'elle adulait quelques jours plus tôt, a fini le travail de sape que mes propres lassitude, culpabilité, sentiment de médiocrité intellectuelle – rayer la mention inutile – avaient bien commencé.

Illustration d'Anne Jacques


J'ai abandonné.
Le sujet était trop sensible, potentiellement trop destructeur. Mon incompréhension trop grande. Mon impuissance abyssale. Aujourd'hui, je suis toujours démuni quand je me souviens de tes derniers mots, de cette demande que je ne peux satisfaire.
De ton mensonge.
Je ne sais pas pourquoi tu as sauté. Ça me tue.
À petit feu.
Dans la rue, je hèle un taxi. J'hésite et décide de dîner dehors. Je vais souvent chez Angelo. J'ai l'assurance d'y être servi rapidement et surtout, laissé tranquille. Parfois, j'y emmène même mes rencards – s'ils sont pourvus d'une paire de testicules. Avec les femmes, j'essaye de trouver plus raffiné. Carmine est la seule que j'aie invitée là. Après des années comme reporter dans la Corne de l'Afrique et les pays du Golfe, elle n'attendait pas de moi que je l'amène au Ritz. Je suis aussi venu occasionnellement avec Molly. Mais c'est différent.
Mon smartphone vibre. Tiens, un message de Carmine, justement. Je le parcours rapidement. Les mentions d’« enquête » et de « Moriarty » me font tiquer. Je le lis avec attention et me trouve soudain plongé dans une grande perplexité. Elle dit clairement que le motif est professionnel. Je lui fais confiance. Je paye distraitement le taxi et pousse la porte vitrée du restaurant. Après les effusions d'usage, je me retrouve à ma place favorite, dans un coin retiré.
Si Carmine veut me voir pour discuter boulot, je n'ai rien contre. Après tout, au début, elle m'avait contacté pour des recherches sur Sherlock, avec comme objectif de décider de la viabilité d'un livre à son sujet. Quelques « sessions » plus tard et elle abandonnait l'idée. À mon soulagement.
Mais, là, il s'agit d'une autre affaire.
Le meurtre d'un homme en Nouvelle-Zélande, il y a dix-huit mois. Il aurait été très difficile de l'identifier en raison, non pas de l'état du cadavre abattu proprement de trois balles en pleine tête mais de la multiplicité des possibilités. Une dizaine de noms sont sortis des fichiers avec les mêmes empreintes. Étrange. La piste la plus probable serait l'appartenance à un réseau criminel puissant. Le nom de Moriarty a jailli dans l'enquête puis a été étouffé. Carmine mentionne une enveloppe qu'elle aurait reçue anonymement, et dont le contenu devrait m'intéresser. Pourquoi pas...
Je réalise que je n'ai vraiment pas envie d'autre chose qu’une relation amicale, de collègue, avec la journaliste. Il est temps que j'arrête de me mentir sur mes besoins et mes rêves de bonheur domestique. L'odeur des lasagnes éveille mon appétit. Je commande une demi-bouteille de vin de Sicile.
Je reste raisonnable. Je téléphone avant de boire :
— J'ai eu ton message.
— Il faut qu'on se voie. J'ai des photos à te montrer. Ah, le nom de Sigerson, ça t'évoque quelque chose ?
Je réfléchis quelques secondes.
— Absolument rien.
— Et Sebastian Moran ? C'est l'identité la plus probable du cadavre.
— Hum... Il me semble avoir déjà entendu ce nom. Mais c'est assez commun. Si tu veux, tu peux passer demain à Barts ?
— Ok. C'est cool, j'ai un truc à faire à la City le matin. Je passe pour le déjeuner ! À plus.
— Bye.
Je raccroche avec une impression bizarre de normalité. Il faudra juste que je prévienne Molly...
Le nom de Moran me trotte dans le crâne durant tout le repas. Je suis quasi certain de l'avoir entendu mentionner il y a longtemps. Impossible de me souvenir. Ma mémoire n'a rien d'eidétique. Il est tard, j'ai sommeil. Je rentre me coucher.
À suivre, mercredi prochain dans l'étang !
Copyright : Marianne Ciaudo