Marrant : il y a plein de gens qui me contactent, comme ça, pour papoter et me demander ce que je pense de ceci ou cela. Ce doit être la rentrée : pléthore de commission, GT, cellules réponses, sous-cellules, black groups et autres réunions où ça cause de stratégie. Et comme s'il n'y en avait pas assez, on vient poser la question à quelqu'un qui ne fait partie d'aucune. Comme si une idée de plus pouvait faire un tant soit peu avancer le schmilblick. Mais pour répondre à un ami suédois qui me demandait "quelles sont les centres d'intérêt ?" et pour aider les candidats qui terminent leur préparation à l'oral, voici donc les questions de diagnostic géopolitique auxquelles j'essaierai de répondre, si j'avais à prendre des décisions stratégiques.
Est-il besoin de préciser que ces quelques idées n'engagent que moi, et peuvent d'ailleurs être pillées sans vergogne. Mais puisqu'il paraît que l'on veut consulter large, j'apporte ma pierre à l'édifice commun.
1/ La première question à laquelle répondre est la suivante : jusqu'où y a-t-il découplage transatlantique ? en effet, celui-ci a pris naissance au Kossovo, s'est envenimé avec l'affaire d'Irak, a été péniblement réparé en Afghanistan, mais les Américains nous le disent, par la voix de Bob Gates ou celle de la QDR : l'Europe n'est plus leur priorité. Même si beaucoup d'Européens ne cessent de courir après Washington (sans toutefois mettre la main à la poche).... Bref : avons nous intérêt à suivre les États-Unis dans leur stratégie globale (remarquons au passage que ce sont les seuls à avoir encore l'ambition de cette stratégie), notamment envers la Chine, ou avons nous d'autres intérêts collectifs européens ? Ce qui pose la question de l'Europe.
2/ L'Europe est-elle assimilable à l'UE ? Cette question est stratégique, sa réponse l'est donc tout autant, et la réponse n'est pas aussi évidente qu'elle en a l'air. J'ai déjà mentionné le miroir aux alouettes que constituait l'expression "Europe de la défense" qui est invendable à l'extérieur. Or, force est de constater qu'il y a des Europes. Laquelle veut-on ? qui choisit-on ? La GB ou l'Allemagne ? la grammaire de puissance (sérieusement écornée) ou le noyau carolingien ? l'océan ou le continent ? une grande Europe ou un noyau agissant ?
3/ Il y a des vulnérabilités intérieures. Je ne pense pas à cette sénatrice qui demandait l'armée contre les trafiquants de drogue (voir cette remarquable réponse d'Abou Djaffar : ce serait bien que les sénateurs connaissent quand même l'état du droit qui fait un Etat de droit qui empêche toute mesure de ce type). Non, le sujet est ailleurs : quid si une catastrophe type Fukushima intervient ? les FAD japonaise ont déployés 100.000 hommes, nous ne pouvons déjà plus le faire. Autre exemple : une tempête casse des lignes à haute tension, mais les équipes EDF qui utilisent leurs téléphones portables ne sont plus en liaison puisqu'il n'y a plus d'électricité pour approvisionner les relais telecom. Autrement dit, la question n'est pas celle des infrastructures critiques (tout est critique), mais celle de l'intégration systémique et donc du risque systémique. Nous vivons aujourd’hui sur une économie de flux (1,5 jours de stocks dans les supermarchés de la région parisienne), que faire si ça s'arrête ?
4/ Dernier côté du triangle, celui au sud. Quand verrons-nous que l'arc de crise est une invention qui n'a plus de sens, que le désengagement américain du Moyen Orient élargi et d'Asie centrale pose un problème qui n'est pas le nôtre (malgré ce qu'ils disent), qu'il y a plusieurs Méditerranée (une à l'ouest et une à l'est, voir ici et ici point 9) et plusieurs Afrique (voir ici), et qu'il faudrait peut-être choisir. Notre façade méditerranéenne nous regarde, nous riverains, sans que tous les Européens n'aient forcément à nous dire quoi faire, tout comme il est normal que les riverains de la Baltique s'entendent entre eux sans que l'UE soit au Conseil baltique...
Il n'y a rien de bien nouveau ici, puisque j'avais déjà évoque quelques points dans ma série "stratégie française". Disons que voici les questions stratégiques qui se posent.
O. Kempf