Ici Brest, les Bretons parlent aux Lorrains ! Dites, vous avez déjà lu Platon ? Non ? Ben vous avez tort ! Oui, je sais, c’est de la philo, mais de la philo marrante, en fin de compte. Si, si, j’vous jure ! Ses fameux « dialogues » ne font pas qu’exprimer des idées, ils lui donnent aussi l’occasion de caricaturer certains personnages typiques de la cité athénienne où son maître Socrate a vécu, à commencer, bien sûr, par les sophistes.
« Et c’était qui, les sophistes ? », dites-vous en maudissant votre inculture crasse. Et bien c’étaient des professeurs de rhétorique itinérants qui proposaient à ceux que ça intéresse, moyennant finance, d’apprendre à bien parler sur l’agora et à convaincre leurs concitoyens du bien-fondé de leurs opinions : ce que Platon ne leur pardonnait pas était d’enseigner à donner l’illusion du vrai à tous les discours, y compris les discours mensongers, plutôt que d’enseigner à recherché la vérité comme il se proposait de le faire à ses élèves de l’Académie. Jusqu’ici, vous me suivez, ça va ? Bon, ces sophistes faisaient un drôle de métier, mais ce n’étaient pas forcément des salauds ou des imbéciles : il y en a qui gardaient quand même un certain sens moral et n’étaient pas prêts à prostituer leur enseignement pour cautionner les pires vilénies. Mais que voulez-vous, il y a des cons partout, et dans le tas, il y avait notamment Thrasymaque et, surtout, Calliclès. Ah, ces deux-là, alors ! Quels fats, j’vous jure ! Du genre à faire leurs gueules de choqués quand tout le monde ne s’agenouille pas devant leur intelligence ! Et surtout, quel cynisme ! À leurs yeux, il vaut mieux commettre l’injustice que la subir, celui qui devient riche et puissant par tous les moyens, y compris les plus infâmes comme la corruption, la trahison voire le meurtre est nécessairement l’homme le plus heureux du monde ! On leur a dit, que tout être humain a une conscience et que celle-ci le torture quand il fait le mal ? On leur a dit, que le tyran vit perpétuellement dans la peur de voir ses sujets se retourner contre lui ? On leur a dit, qu’on est infiniment mieux quand on est en paix avec sa conscience, même si on est sans le sou et mal-aimé, plutôt que quand on est riche et puissant mais avec une mentalité de bête traquée ? Avant que Socrate n’essaie de le leur faire comprendre, non. Mais surtout, ces deux cons-là, ils n’y ont même pas pensé ! Non, pour eux, le summum du bonheur, c’est avoir les meilleures places à la palestre ou aux concours de théâtre, avoir des tas d’esclaves à ses pieds, les plus beaux chevaux, avoir des millions de drachmes pour séduire les filles faciles… Bonjour l’élévation des préoccupations ! Sans compter que si c’est pour avoir tout ça en étant haï de tous et en faisant des cauchemars toutes les nuits, merci bien !
Pourquoi je vous parle de ça ? Parce que très franchement, ceux qui trouvent parfaitement légitime que l’on préfère s’endormir seul sur son tas d’or plutôt que d’en faire profiter un minimum l’ensemble de ses concitoyens, à commencer par les plus misérables, ceux qui préfèrent savoir un riche toujours plus riche plutôt que cent infirmières ou instituteurs bien payés, ceux qui sont prêts à sacrifier ce dont le peuple à quotidiennement besoin pour sauver les privilèges d’un type qui n’aura jamais de problèmes de fin de mois… enfin, bref, ceux qui prennent la défense de Bernard Arnault me font étrangement penser à Thrasymaque et Calliclès. Y a-t-il un Socrate dans la salle pour leur rabattre leur caquet ? Allez, salut les poteaux !
A lire : La République et Gorgias de Platon.
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