Les bas ont subi au XVIe siècle de grands changements : séparation des chausses en haut-de-chausses et bas-de-chausses, apparition des bas de soie, puis des bas tricotés, en laine ou en soie, et à la fin du siècle, l'invention du métier à bas, qui attendit près d'un siècle pour être pleinement exploité.
« Objets de luxe plus que de nécessité », les bas étaient encore coûteux et « d'une production relativement difficile », et ils restèrent longtemps « à la portée seulement d'un petit nombre » (1)
Détail de l'image ci-dessus : Susanna and the elders,
Lorenzo Lotto 1517 (Galleria degli Uffizi, Florence, Italie)
Division des chausses en deux parties
C'est au XVIe siècle que les chausses masculines se différencient en haut-de-chausses, partie qui couvre les cuisses, et en bas-de-chausses, partie qui couvre le bas des jambes. Ces sont ces dernières qui donneront naissance aux bas modernes.
Les chausses féminines restent d'une seule pièce.
Les bas de soie
Les bas en usage durant la première moitié du XVIe siècle étaient encore faits de drap, de lin, de laine ou encore de soie tissés.
Bas de soie tissée - Italie, XVIe (The Metropolitan Museum of Art)
La date de l'apparition des bas de soie en France n'est pas connue, mais on sait qu'il sont très prisés à cette époque, à l'instar des modes pratiquées en Italie, et leur port est encouragé par François 1er (2, 3).. Ils sont alors faits en soie tissée et ajustée, qui est fragile et coûteuse.
Un siècle plus tard, il était admis que «tout homme un peu élégant ne pouvait porter que des bas de soie » (4).
Les bas tricotés
C'est au milieu du XVIe siècle que les bas tricotés en maille fine, faits de laine ou de soie, font leur apparition.
On connaissait les bas tricotés en 1554 en France, où les bonnetiers devenaient fabricants de bas, appliquant jusque-là le travail à l'aiguille pour la fabrication des gants et des bonnets.
C'est « à quelques années près que la France, l'Italie, l'Espagne, l'Angleterre, la Suisse, l'Allemagne, connurent la fabrication du bas tricoté »(1).
Marchands de bas, vers 1560 - Musée national allemand,
Nuremberg
Le travail à l'aiguille, qui fut dès lors appelé tricot, est exécuté avec quatre aiguilles en bois, en os, en fer ou en acier. Le métier à bas ne fut inventé que plus tard.
« Les bas au tricot, que l'on nomme aussi bas à l'aiguille ou bas brochés, se font avec de longues et menues aiguilles, ou petites broches de fil de fer ou de laiton poli, qui, en se croisant les unes sur les autres, entrelacent les fils, et forment les mailles dont les bas sont composés, ce qui s'appelle tricoter ou brocher les bas, ou les travailler à l'aiguille »(5).
On raconte qu'Henri II portait, à l'occasion du mariage de sa fille Elisabeth en 1559, «les premiers bas de soie tricotés à l'aiguille que l'on eut vu en France »(6).
C'est à cette époque « que l'on eut, de nouveau, l'idée de tisser des bas à l'aiguille ». Ce type de bas avait l'avantage de bien mouler les jambes, ce qui répondait parfaitement à la mode des bas bien tirés. La maille donnant aux bas plus de souplesse et d'élasticité que le tissu ajusté, ils furent vite adoptés par ceux qui pouvaient se le permettre. « Cette mode des bas de soie exécutés aux aiguilles par des ouvriers spécialisés se répand rapidement dans tout le royaume »(7).
Bas de soie tricotée, de couleur et brodés- Italie, XVIIe siècle
(Museum of Fine Arts Boston)
A peu près toutes les personnes un peu aisées portaient des bas tricotés avant la fin du XVIe siècle. En revanche, pour la majeure partie de la population, et ce encore au XVIIe siècle, les bas-de-chausses sont le plus souvent taillés dans du drap et non pas tricotes(4).
Ce n'est qu'au XVIIIe siècle que l'usage du bas d'étoffe disparaît(5).
Bas de soie tricotée - Italie, début XVIIe siècle (Museum of Fine Arts Boston)
La machine à bas
Le premier métier à tricoter les bas fut créé en 1589 par un anglais, William Lee. « On prétend que c'est en voyant sa fiancée sans cesse absorbée par le travail du tricot, qu'il voulut substituer à l'action des doigts un procédé mécanique donnant des résultats plus parfaits et plus rapides »(4).
« Les bas au métier sont des bas ordinairement très-fins, qui se manufacturent par le moyen d'une machine de fer poli, très-ingénieuse, dont il n'est pas possible de bien décrire la construction, à cause de la diversité et du nombre de ses parties, et dont on ne comprend même le jeu qu'avec une certaine difficulté quand on l'a devant les yeux.
On tombe dans l'étonnement à la vue des ressorts presque innombrables dont cette machine est composée, et du grand nombre de ses divers et extraordinaires mouvements. Combien de petits ressorts tirent la soie à eux, puis la laissent aller pour la reprendre et la faire passer d'une maille dans l'autre d'une manière inexplicable ; et tout cela sans que l'ouvrier qui remue la machine y comprenne rien, en sache rien. En un clin d'oeil cette machine forme des centaines de mailles à la fois, c'est-à-dire qu'elle fait en un moment tous les divers mouvements que les mains ne font qu'en plusieurs heures»(5).
Mais cette invention, qui constituait une grande concurrence aux ouvriers qui tricotaient à la main, tardera à être exploitée comme elle le méritait, bouleversant la production des bas et répandant alors leur usage à une plus large population.
Alfred Franklin nous conte l'histoire du métier à bas de William Lee (4) :
« Son premier métier fut construit en 1589 et fonctionna à Calverton près de Nottingham.
Wiliam Lee, rebuté par les déboires que lui suscitèrent les bonnetiers anglais, accepta les offres de Sully, et vint s'établir en France. Il y eut des alternatives de succès et de revers ; puis, privé de la protection royale après la mort de Henri IV, il négligea son oeuvre et mourut dans la misère. Son frère regagna alors l'Angleterre avec les ouvriers qu'il avait formés.
Les premiers fabricants qui l'exploitèrent gagnèrent des millions, et le gouvernement la prit sous sa protection avec un soin si jaloux qu'il fut défendu, sous peine de mort, d'exporter des métiers à bas ou même d'en montrer à un étranger.
Il fallut presque un miracle pour les faire connaître en France. Un Nîmois, nommé Jean Hindret, passa en Angleterre, réussit à examiner quelques métiers, en saisit le mécanisme compliqué, et en grava tous les détails dans sa prodigieuse mémoire avec une telle fidélité que, de retour sur le continent, il put faire reconstruire, pièce à pièce, la machine qu'il avait vue. Celle-ci fut mystérieusement renfermée au bois de Boulogne, dans le château de Madrid, où Jean Hindret réunit et forma un petit nombre d'ouvriers. On était alors en 1656. Les métiers fonctionnèrent bientôt avec un plein succès ».
Couleurs et ornements des bas :
Au début du XVIe siècle, les bas des femmes sont de couleurs variées, telles le « rouge incarnat et couleur de chamois ». La plupart portent des bas moins colorés que les hommes puisqu'ils ne sont pas sensés être vus.
Les veuves se cantonnaient aux couleurs plus sobres : « gris tanné, violet, bleu »(8), et «les dames jeunes s'autorisent des couleurs éclatantes et nuancées».
Ludovico Cardi dit le Cigoli, 1610 (Galerie Borghese, Rome)
Des textes de l'époque témoignent des bas des riches dames au XVIe siècle, pour lesquels le rouge semblait être une des couleurs les plus portées.
Anne de Bretagne, à la fin du XVe siècle, avait « de longues chausses de fine écarlate »(10).
En 1534, Rabelais décrit les costumes des Thélémites : « Les dames portoient chausses d'escarlatte, ou de migraine, et passait les dictes chausses le genoul au dessus par troys doigtz, justement. Et ceste liziere estoit de quelques broderies et descoupures »(11).
Enfin, l'inventaire de la veuve du président Nicolaï, pour l'année 1597, cite dans la liste de ses biens « une paire de chausses en velours rouge »(12).
Marie Stuart, reine d'Ecosse, François Clouet, 1558 (Londres, Royal Collection)
Lors de l'exécution de Marie Stuart en 1587, « ses bas de chausses estoient de soye de couleur, ouvragés de fil d'or. Les jarretières estoient deux belles escharpes sans ouvrage »(13).
« Sous Louis XIV, on s'engoua des bas couverts de dessins en couleurs »(4).
Le Mercure galant en 1672 signale que Perdrigeon, le célèbre marchand fournisseur de la Cour, lança la mode des bas de soie de la Chine « dont les figures étaient les plus plaisantes du monde »(3).
« Il faut, disait le même journal en 1673, que les dames qui porteront de ces bas de soye figurez soient résoluës à faire voir leurs jambes, car sans cela il leur seroit inutile de porter de pareils bas »(4).
Bas de soie tricotée - Espagne, XVIIe siècle (Museum of Fine Arts Boston)
Au XVIIe siècle, « les bas de soie furent aussi fort à la mode en Angleterre, surtout les bas de soie verts : le duc d'York avait vu, paraît-il, ceux de Mme Chesterfield.
Un jour la belle venait de montrer sa jambe jusqu'au-dessus du genou : « il n'y a point de salut pour une jambe sans bas verts », déclara le duc, ce qui rendit fort jaloux Lord Chesterfield. Celui-ci relégua bien vite sa femme à la campagne, trouvant l'histoire des bas verts d'assez mauvais goût, en tout cas passablement suggestive (Hamilton, Mémoires du chevalier de Grammont).
Les bas de ce genre et de cette couleur restèrent longtemps à la mode.
Quelque treize ou quatorze ans plus tard, en 1676, Courtin dit encore dans une lettre à Louvois : « … il n'y a rien de si propre que la chaussure des Anglaises, les souliers sont justes sur les pieds, les jupes courtes et les bas de soye fort propres, les Anglaises même monstrent sans façon toute leur jambe, j'en vois souvent qui sont faites à peindre »(14).
Au XVIIe siècle, les bas sont richement brodés et colorés.
On a vu en France « les bas de couleurs foncées, gris, bleus et violets », « le bas de soie rouge à l'époque de Henri IV et de Louis XIII ». « On vit, pour les dames, les bas de couleurs voyantes, les bas rouges, les bas vert-pomme et bleu-ciel ; mais, il faut le reconnaître : d'après les Lois de la galanterie, celles et ceux qui étaient en bas de soie n'avaient point d'autres bas que d'Angleterre »(14).
Des bas bien tirés
A partir de la seconde moitié du XVIe siècle, les bas, en laine ou en soie, se portent très collants. Mais même si les bas tricotés moulaient bien la jambe, revêtir les chausses n'étaient pas des plus faciles.
« Si le haut-de-chausses et le bas-de-chausses sont si collants que l'on dirait une seconde peau, croyez que ce n'était pas sans travail que l'on arrivait à cette perfection ; il fallait, pendant un bon moment, secouer de toutes ses forces les jambes et les cuisses pour bien étendre les bas-de-chausses »(15).
Bal à la cour des Valois, peinture, école française, vers 1580 (Musée des Beaux-Arts de Rennes)
Catherine de Médicis « prenoit plaisir à voir la chausse bien tirée et tendue »(16).
« Catherine, raconte Brantôme, aymoit une de ses dames par dessus toutes les siennes et la favorisoit par dessus toutes les autres, seulement parce qu'elle luy tiroit ses chausses si bien tendues et mettoit si proprement la jarretière et mieux que toute autre».
Les jarretières
Les jarretières étaient un élément essentiel pour avoir des bas bien tirés.
Simples rubans, elles étaient «pour les grandes dames, en satin, en tissu de soie, voire même en or émaillé. Ces jarretières, parfois enrichies d'ornements en métaux précieux, s'attachaient à l'aide de boucles ou de fermoirs en argent »(17).
Jarretière de soie - Italie, fin XVIe siècle (Museum of Fine Arts Boston)
Les jarretières se nouaient en formant une rosette au-dessus ou au-dessous du genou, ou bien étaient croisées sous l'arrière du genou avant d'être attachées au-dessus du genou.
Rabelais précise dans Gargantua que « les jartières des dames estoient de la couleur de leur bracelletz etcomprenoient le genoul au dessus et au dessous. »
Jarretière en soie tricotée - Italie ou Espagne, XVIIe siècle (Museum of Fine Arts Boston)
Courtin dans sa lettre citée plus haut écrit explique que pour maintenir les bas de soie verts en vogue, « on porte au-dessus du genou des jarretières de velours noir avec des boucles de diamant» (Revue Historique)(14).
Les femmes dévoilent leurs bas
Au XVIe siècle, les femmes ne cachaient pas leurs jambes.
Catherine de Médicis, d'après François Clouet (Florence, Palazzo Pitti)
Catherine de Médicis avait de très belles jambes. « Et par ainsi, sur cette curiosité qu'elle avoit d'entretenir sa jambe ainsi belle, faut penser que ce n'estoit pour la cacher sous sa juppe, ny son cotillon ou sa robbe, mais pour en faire parade »(4). Elle aimait les montrer et incitait les autres femmes à faire de même, par des habitudes nouvelles dont elle donnait l'exemple.
C'est elle qui « détermina les demoiselles de la cour à porter des jupes plus courtes qu'on ne l'avait jamais fait jusqu'alors, afin que leurs jambes fussent plus libres pour adopter les danses vives.
Alors au lieu des airs du branle et de la pavanne, on eut les vives bourrées et les gigues, sur lesquelles les dames de la cour sautaient avec délices. Marguerite de Valois, fille de Catherine de Médicis, ayant les jambes fort belles, outra la mode des jupons courts, et sauta de manière à donner lieu à quelques aventures plaisantes et à scandaliser les vieilles dames »(18).
En outre, Catherine de Médicis, passionnée d'équitation et de chasse, d'une nouvelle technique d'équitation qui lui permettait , montant en amazone. Cette manière de monter à cheval nécessitait de « passer la jambe au-dessus de l'arçon », ce qui avantageait la reine puisqu'ainsi on pouvait voir ses jambes, ce qu'elle avait de mieux. « Cette nouvelle technique d'équitation eut un succès foudroyant(19). »
Sources :
1 - Le tricot et l'industrie de la bonnetterie, par Auguste Mortier, 1891
2 - Les métiers d’autrefois, de Marie-Odile Mergnac, Claire Lanaspre, Baptiste Bertrand et Max Déjean, Archives et Culture
3 - Histoire du costume en Occident, Edition Flammarion
4 - La vie privée d'autrefois : arts et métiers, modes, moeurs, usages des Parisiens, du XIIe au XVIIIe siècle, par Alfred Franklin, 1887
5 - Dictionnaire universel de commerce, par Jacques Savary des Brûlons et Philémon-Louis Savary, 1750 ; texte repris et complété dans Encyclopédie méthodique. Commerce. 1783-1784, par Nicolas Baudeau
6 - Manufactures, arts et métiers, par Jean-Marie Roland de la Platière, Guillaume Tell, 1785
7 - Les métiers d’autrefois, de Marie-Odile Mergnac, Claire Lanaspre, Baptiste Bertrand et Max Déjean, Archives et Culture
8 - Oeuvres complètes du seigneur de Brantôme, vol.5, Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme, Louis-Jean-Nicolas Monmerqué, 1823
9 - Paraître et se vêtir au XVIe siècle : actes du XIIIe Colloque du Puy-en-Velay, publié par Marie F. Viallon, 2006, Université de Saint-Etienne
10 - Vie de la reine Anne de Bretagne, femme des rois de France Charles VIII et Louis XII, par Antoine Le Roux de Lincy, Curmer, 1860
11 - Gargantua, par François Rabelais, 1534
12 - Histoire des Français des divers états aux cinq derniers siècles, volume 6, par Amans Alexis Monteil, 1841
13 - Lettres de Marie Stuart, par A. Teulet, 1859
14 - L'influence française en Angleterre au XVIIe siècle, collectif
15 - Les derniers Valois : François II, Charles IX, Henri III, par le marquis de Belleval, 1900
16 -Oeuvres complètes du seigneur de Brantôme, vol.5, Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme, Louis-Jean-Nicolas Monmerqué, 1823
17 - Revue de l'art chrétien, par l'abbé J. Corblet, 1863 : même revue, article les sandales et les bas
18 - Revue musicale, vol.3, par F.J.Fétis, 1828
19 - Les avenues de Fémynie : Les femmes et la Renaissance, par Madeleine Lazard, Ed. Fayard, 2001