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Le jour où j'ai disparu

Publié le 12 septembre 2012 par Desfraises
Le jour où j'ai disparu
Photo © Albert Facelly (reproduite ici avec son aimable autorisation) pour illustrer mon témoignage dans l'article de Caroline Lumet pour Grazia n°157, à paraître ce vendredi. 
Je ne m'en suis jamais caché. Je m'en suis même ouvert à de nombreuses reprises. Je ne suis pas du genre à mettre sous le tapis mes failles, mes erreurs. Pas à mon âge. C'est sans hésitation que j'ai répondu à l'invitation d'une journaliste qui souhaitait recueillir mon témoignage en matière de disparition volontaire. J'ai bien signalé qu'il s'agissait d'un cas personnel et qu'en aucun cas il fallait y voir un exemple. Je me suis raconté un peu. Une date gravée dans ma mémoire. 1er mars 2009. Jour où j'ai tout plaqué. Boulot, amis, familles, soucis et tout le toutim. Un coup de lune. Rétrospectivement, j'ai eu souvenir de désirs de fugue qu'ont beaucoup d'enfants. Ce désir, ce fantasme, je l'ai nourri quand j'étais enfant. Je l'ai vécu adulte.
Je considère aujourd'hui ma disparition comme un acte violent et salvateur. A la fois destructeur et salvateur. Je n'ai pas oublié l'inquiétude et la souffrance de mon entourage qui s'est demandé où j'étais passé, quel malheur avait pu m'arriver. Les jours et les nuits où je les ai laissés dans le désarroi, le silence. J'ai su, après coup, qu'une brigade était chargée de me retrouver. Chose très compliquée, presque impossible, quand un adulte disparaît. Quand aucun casier aucun précédent n'exige que la police se penche sur le cas. On ne peut empêcher un adulte de vouloir tout quitter, voire même de se construire une autre vie. Le lieutenant chargé d'expliquer à ma famille, mes amis, que j'avais peut-être disparu de mon plein gré a, je le sais, essuyé l'incrédulité, l'incompréhension des personnes qu'il a contactées alors. Rien ne leur avait mis la puce à l'oreille. J'étais un jeune homme plein de promesses, socialement et professionnellement épanoui. Mais il est des brèches dans une personnalité qui peuvent un jour laisser passer le drame. Aussi petit soit ce drame.
J'ai rencontré un paquet de gens lors de ce voyage initiatique que j'avais entrepris. Si l'agence de voyage avait pu, à l'époque, me donner le billet aller-seul que je souhaitais acheter, je ne serais peut-être jamais revenu. Mais légalement, pour le pays, la ville, où j'avais prévu de poser cette parenthèse de ma vie, on ne pouvait me délivrer qu'un billet aller-retour. Des quelques jours de préparatifs, je me souviens comme si c'était hier. J'errais, nerveux, d'hôtel en hôtel, achetais une valise, les vêtements, le nécessaire, et passais les portillons de l'enregistrement à l'aéroport pour Le Cap en Afrique du Sud. Je n'y connaissais personne. C'est aussi pour cela que j'y suis allé. Parce que je n'y connaissais pas âme. Ce voyage a duré trois mois. Je me rappelle des lieux et des gens incroyables. Au gré des lignes que j'ai écrites là-bas - car j'ai consigné sur un blog mes pensées, mes errances, mon chemin - j'ai raconté ces rencontres improbables, ce voyage en mer pour aller voir les requins avec un inconnu qui m'a alors aidé. Comme tant d'autres. Il n'était pas encore question de mon retour. J'avais fini par prévenir ma famille. Il m'avait fallu deux bonnes semaines avant de décrocher le combiné d'une cabine téléphonique pour parler à mes parents. Ils étaient restés sur un "je vais aussi bien qu'il est possible d'aller en de telles circonstances" que j'avais demandé au lieutenant de transmettre. Message aussi sincère que cruel. Je n'étais pas en mesure de parler, d'expliquer le pourquoi du comment. Je l'ai fait plus tard, lorsque je suis revenu.
Tout ceci est une longue histoire. Je suis revenu. J'ai essayé de recoller les morceaux d'un moi éclaté. Jour après jour. J'ai payé toutes mes dettes. Car la parenthèse que je me suis accordée m'a coûté cher, très cher. Imaginez une vie réglée comme du papier à musique avec ses paiements et ses prélèvements mensuels, ses crédits à la consommation. Quand du jour au lendemain, il n'y a plus de salaire, les impayés prennent le dessus, les prélèvements rejetés les uns après les autres, les dettes démarrent, s'accumulent, deviennent incontrôlables. Un appartement vide de son locataire, un propriétaire sans nouvelle de son créancier, une amie colocataire non signataire du bail. Huissiers, intimidation, interdit bancaire etc.
Je ne vous livre aujourd'hui qu'un tableau prosaïque, concret. Je vous laisse imaginer les hauts et les bas, les instants magiques, le désespoir, les fulgurances, les paysages extraordinaires de l'Afrique du Sud.
Le Cap. L'Afrique du Sud. Une ville, un pays où je souhaite retourner. Sereinement, joyeusement. Pour boucler la boucle. Revoir Port Nolloth, ce bout de village portuaire à la frontière de la Namibie où l'on m'a choyé le jour de mon anniversaire, gâteau au chocolat rehaussé de Smarties, de sucre glace, de bougies, de tendresse au bout du monde.
Aujourd'hui parfois je suis heureux.

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