Même en période de crise nous restons dans l'abondance. Nous sommes enclins à l'oublier.Il suffit pourtant d'interroger nos parents, nos grands-parents, voire nos arrière-grands-parents, pour les plus jeunes
d'entre nous, pour mesurer le terrain matériel parcouru en un demi-siècle.Après L'amour nègre, Jean-Michel Olivier, qui a de la suite dans les
idées littéraires, poursuit avec Après l'orgieson exploration du monde des pipoles où l'abondance, poussée à l'extrême, devient orgie,
comme sous l'empire romain décadent.Dans son livre précédent le héros était un jeune noir, Adam. Cette fois c'est une jeune métisse sino-européenne, Ming. L'un
comme l'autre sont des enfants adoptés par un couple de stars internationales, Matt et Dolorès Hanes, laquelle Dolorès "collectionne tout ce qui est
malheureux", y compris les enfants.Jean-Michel Olivier a, lui, adopté un procédé narratif particulier pour nous conter les tribulations de la jeune Ming. Le
livre est en effet un long dialogue entre cette fille adoptive de stars et un psy, disciple de Jacques Lacan, le prophète qui a transmis jusqu'à nous les vertus de l'analyse inventée par
Freud.Ming est venue trouver un psy non pas pour guérir, mais pour dire, et elle a beaucoup à dire. Le psy, qui l'écoute, veut la
faire "descendre au fond de la mine", là où il fait noir et où l'air est vicié, dans la boue et le sang, pour lui dévoiler son inconscient et la guérir de
ce qui la hante. Quiproquo complet.Ming est née de père inconnu et menait en Chine une existence obscure, comme la salle du Lotus Bleu, le célèbre cinéma de
Shangaï, où sa mère était ouvreuse. Adoptée par Dolorès Hanes, elle est projetée dans la lumière d'Hollywood où elle fait la connaissance, y compris au sens biblique, de son frère adoptif
Adam.Sa vie bascule quand elle tombe enceinte des oeuvres d'Adam, au bambou impétueux. Le psy remarque, sous la plume malicieuse de
l'auteur, que l'inceste est pourtant interdit, même chez les Valaisans...Ming est alors envoyée en Suisse pour y soigner ses maux de ventre et renaître en supprimant une vie. Une fois en Suisse, elle
y reste pour apprendre les bonnes manières dans un pensionnat de jeunes filles de bonne famille... Ming s'en échappe avec des codétenues et réchappe, défigurée, d'un accident de voiture, où
elle est sortie du cadre en passant à travers le pare-brise.Sa vie bascule une nouvelle fois. Elle tombe cette fois entre les mains d'un chirurgien esthétique qui en fait "une créature hybride. Imaginée par ordinateur. Faite de clous. De broches. De morceaux de titane. Une chimère."Comme tous les goûts sont dans sa nature, Ming, équipée de ce nouveau corps, copule avec tout ce qui bouge, pour reprendre
l'expression de son psy, qui a des valeurs, lui, des principes, de la pudeur, des sentiments et se pose même des questions.Sa patiente ne regarde jamais en arrière, n'a aucun regret, aucune nostalgie du temps passé, aucun remords non plus. C'est
pourquoi durant l'analyse les rôles s'inversent parfois entre Ming et son psy, qui finit par se ressaisir après un moment d'égarement.La vie de Ming bascule une nouvelle fois quand elle tombe sur Papi, le chef du gouvernement italien, qui en fait son ministre
de la Communication et la fait participer à l'orgie permanente à laquelle lui et ses proches se livrent, orgie définie par Ming comme "l'extase matérielle. Le
futile et le superflu. La tyrannie du présent. Cette abondance qui nous ravit. Ce luxe qui nous étouffe."L'épilogue, intitulé, "Un psy soit-il", nous raconte ce qui se passe après cette orgie de
mots fabuleux, de faits improbables, de marques de luxe, de musique anglo-saxonne, de coucheries inconséquentes, de ripailles inimaginables, où la fiction finit par dépasser la réalité. Car
Ming le reconnaît volontiers: "C'est vrai que parfois j'exagère. Je me laisse emporter par les mots. J'ajoute des détails."...Jean-Michel Olivier se laisse emporter par les mots, comme son héroïne. Il n'est pas avare de détails. Il exagère sans doute,
mais cela fait de son livre caricatural une fable fort instructive sur notre époque.Ainsi, quand il parle des exigences du marché des top-models - "Etre grande. Mince. Blonde et
bronzée. Mensurations parfaites. Entrer dans le format des magazines." -, ne fait-il que restituer l'image d'une époque dont le marché n'est que le miroir dans lequel elle se
contemple.Il faut donc lire ce livre écrit avec une faconde toute rabelaisienne, animé d'un souffle épique, et qui s'achève sur un pied
de nez irrésistible.Francis RichardAprès l'orgie, Jean-Michel Olivier, 240 pages, Editions de Fallois/L'Age d'homme ici