Source : le salon littéraire 10/09/2012
Un tractacus qui absorberait toutes les questions que l’on se pose au sujet de la vie et de la mort est-il possible ? Vladimir Jankélévitch tenta à de nombreuses reprises de nous renseigner, sans thaumaturgie aucune, sur le phénomène de vivre. L’épaisseur de sa pensée délivrait de ténues réponses. L’essentiel, selon lui, tenait à presque rien, « un je-ne-sais-quoi, une chose légère entre toutes les choses légères ». Quelques étincelles, en somme, une suite d’apparitions disparaissantes. La vie ne serait qu’à conjuguer au présent, sur le fil du funambule, au risque de tomber. Hormis la chute fatale, sans revenir, il faut bien admettre que nous glissons le plus souvent dans un monde de réminiscences où toute vie semble ne tenir qu’aux branches du souvenir.
Jean-Michel Espitallier est un poète qui ne s’évanouit pas dans le chaos des songes. Ses œuvres ont à voir avec le verbe en action. Ses mots sont d’aujourd’hui, autrement dit plongés dans les odeurs du jour et le décor actuel. Mais il convient de se rappeler, avec Bernard Noël, que « la poésie est l’autre nom de la pensée », de sorte que le philosophe et le poète peuvent être une seule et même personne. Cent quarante-huit propositions sur la vie & la mort, ce titre promet une science. De fait, l’auteur procède avec le tact d’un métaphysicien. Le mécanisme de sa pensée adoptant l’allure d’un traité livre en une logique parfaite un continuum sans failles qui ne saurait décevoir. Tout y est dit, l’essentiel de ce qu’on veut savoir sur le sens de la vie, l’irréversible et finalement la fin. Mais si ontologie et eschatologie sont bien au rendez-vous, la surprise provient chaque fois que nous sourions. Car Jean-Michel Espitallier est avant tout un dadasophe qui cherche dans la ‘pataphysique cette nourriture qui manque à la pensée sérieuse.
Souvent nous sourions, comme au contact d’un gai savoir, en suivant le fil de ses propositions.
L’évidence est ici maniée comme le flambeau de Diogène.
Jean-Michel Espitallier singe le sage sans pour autant nous soustraire à la prise de conscience. Ainsi, quand il écrit : « Celui qui passe sa vie à se protéger de la mort (jus d’orange bio au réveil, pas de tabac, point d’alcool, traverser dans les clous, bien se couvrir, footing, jamais d’avion) risque de passer à côté de sa vie. Il ne
passera pas pour autant à côté de sa mort ». Et c’est assurément le bon côté de cet ouvrage qui ne manque pas de fulgurances. Il s’y dissimule une morale qui prend à la gorge le métaphysiquement correct et terrasse les
angoissés de la vie travestis en donneurs de leçons.
On croit entrer dans un traité revisitant Ludwig Wittgenstein et l’on découvre, aux rires qui nous secouent, que Jean-Michel
Espitallier nous conduit sur une toute autre route, dans la compagnie invisible des grands maîtres de l’Humour que sont Pierre Dac, André Frédérique et Xavier Forneret. Suivi de quelques petits traités portant sur le pin parasol ou le
fait de savoir qu’ « il n’est pas nécessaire de penser à penser pour penser », ce livre appartient à la
scholastique des Jean Queval et Raymond Queneau. Il se situe dans la lignée miraculeuse des Exercices de style.
Guy Darol
Jean-Michel Espitallier, Cent
quarante-huit propositions sur la vie & la mort et autres petits traités,
Éditions Al Dante, janvier 2011, 96 p., 13 €