La chanteuse française Marion Tassou est venue participer à Munich au prestigieux Concours international de l'ARD 2012. Elle a accepté de répondre à quelques questions sur sa participation et sa carrière de chanteuse lyrique.
Marion Tassou, vous participez actuellement à la 61ème édition du prestigieux Concours musical de chant de l'ARD à Munich (ARD-Wettbewerb 2012- Gesang). Voudriez-vous répondre à quelques questions qui concernent votre parcours artistique?
MT Avec grand plaisir.
Comment avez-vous appris l'existence de ce concours? Parmi les concours de chant européens, s'agit-il d'un concours important? Et que représente-t-il dans votre parcours? Vous avez aujourd'hui 27 ans, avez-vous déjà participé à d'autres concours? Avec quels résultats?
MT C’est mon compagnon qui m’en a parlé. Il a participé à ce concours avec son quatuor il y a quelques années. Il y a plusieurs concours reconnus sur le plan international et le concours de l’ARD en fait partie. Pouvoir participer à un concours de cette qualité permet d’avoir un vrai but pour travailler des airs, de se faire entendre et se mesurer aux autres chanteurs de sa génération. J’ai déjà participé à des concours. Cette année, j’ai chanté en Arles pour le concours Opéra en Arles. J’y ai remporté le prix du public et le prix ADAMI.
Le simple fait d'être admise à participer à ce concours constitue-t-il déjà un label de qualité? Une préselection a éliminé une série de candidats. Sur quels critères un chanteur est-il admis à participer?
MT J’espère que c’est un label de qualité !! Pour la présélection, il fallait envoyer un dossier assez complet avec un cv, un enregistrement certifié sans montage, deux lettres de recommandation de personnalités artistiques reconnues et le programme que nous voulions présenter au concours.
J'aimerais que vous retraciez pour nous la genèse de votre parcours de chanteuse. Avez-vous des parents musiciens, ou vos proches chantaient-ils en amateurs ou pour le plaisir? Quand et comment le goût du chant vous est-il venu?
MT Je suis issue d’une famille de médecins. Dans mon enfance, j’ai beaucoup entendu les Rolling Stones, Sting, mais très peu de musique classique ! Ma mère chantait (et chante encore) tout le temps en improvisant. Elle a une très belle voix lyrique naturelle. Elle imitait les chanteuses d’opéra, c’est la Callas de notre maison !! Mais elle ne faisait pas cela sérieusement, elle nous faisait rire !
Petite, j’étais très princesse. Je me déguisais à peine rentrée de l’école et pour faire comme ma mère, je chantais toute la journée (demandez à mes voisins, ils s’en souviennent encore !!) ! Mes frères et sœurs assistaient à tous les spectacles que je donnais dans le salon !
Une amie de mes parents nous a alors parlé de la maîtrise de l’opéra de Nantes (ma ville natale), j’ai passé l’audition en chantant Frère Jacques (comptine pour enfant), j’avais neuf ans…
Dès vos neuf ans, vous participez à une maîtrise d'enfants et montez sur scène. Pouvez-vous parler de cette expérience? Que vit une enfant qui monte sur scène? Dans quels opéras vous êtes-vous alors produite?
MT C’était un rêve devenu réalité, chanter déguisée dans des décors magnifiques avec un orchestre ! Tout me fascinait. Je garde précieusement de nombreux souvenirs de cette époque, Boris Godounov de Moussorgsky quand une armoire à glace russe m’a prise dans ses bras pour chanter son air, mon tout premier solo (trois mots !) avec toute ma famille dans la salle, le premier « Knaben » dans la flûte enchantée de Mozart et les heures d’attente avec les deux autres enfants dans la nacelle, perchés à plusieurs mètres du sol… J’ai su alors que je voulais faire ce métier.
Dans quelles écoles avez-vous étudié le chant? Avez-vous eu des professeurs particulièrement marquants? Qui est aujourd'hui votre professeur?
MT J’ai intégré le Conservatoire National de Région (CNR) de Nantes et en 2004 le Conservatoire National Supérieur de Musique et de danse de Lyon (CNSMD) dans la classe d’Isabelle Germain et Fabrice Boulanger.
J’ai eu de la chance car mon parcours est jalonné de bons professeurs qui m’ont chacun à leur manière aidée à progresser :
Monsieur Baconnais, le chef de chœur de la maîtrise de l’opéra de Nantes. C’est grâce à lui que je fais ce métier. Il a su, avec une rigueur et une exigence permanentes, me faire adorer la musique classique, la musique vocale et le Solfège !!
Madame Jaffré, professeur au CNR de Nantes. Elle m’a appris les bases de la technique vocale et m’a préparée à l’entrée au CNSMD.
Isabelle Germain, professeur au CNSMD et Fabrice Boulanger, chef de chant. Ils m’ont soutenue pendant 4 ans et, ensemble, nous avons préparé un très bel examen (le « prix »).
Cécile de Boever, Soprano, mon professeur actuel. J’ai une relation très privilégiée avec elle. Elle a une oreille bionique, est toujours à l’écoute, donne de précieux conseils. C’est vers elle que je me tourne quand les doutes s’installent. Elle essaie de me rendre indépendante mais je reviens souvent vers elle, je lui fais une confiance totale. Avec elle, je construis une technique solide au service de la musique !
Pourriez-vous évoquer votre parcours professionnel? Quel a été jusqu'ici le rôle que vous avez incarné avec le plus d'enthousiasme ou de plaisir?
MT En sortant du CNSMD, le festival de Saint Céré m’a confié le rôle de Pamina dans la flûte enchantée de Mozart que nous avons donnée plus de 40 fois ! J’ai adoré chanté ce rôle exigeant. Chaque représentation était un challenge, c’était très excitant !
La même année, j’ai incarné Pauline dans la Vie Parisienne de Offenbach à Montpellier. Pamina - Pauline, le grand écart ! C’est ce que j’aime dans ce métier, incarner toutes sortes de personnages !
Je fais aussi beaucoup de musique de chambre avec le Quatuor Ebène, le quatuor Renoir, Shani Diluka, l’ensemble les Ombres (musique baroque, dirigé par Sylvain Sartre et Margaux Blanchard), l’ensemble l’Instant Donné (musique contemporaine), j’ai crée en 2008 l’ensemble E :Mc2 avec le pianiste Yannaël Quenel et le contrebassiste Yann Dubost (ensemble qui mêle musique classique et création contemporaine). C’est un aspect de mon métier que j’affectionne particulièrement.
Quels sont vos projets pour les années à venir? Quels rôles vous sentez-vous capables d'incarner avec bonheur, et dans un futur plus lointain, quels rôles de la maturité aimeriez-vous interpréter?
MT Je serai Eurydice dans Orphée de Gluck à l’opéra de Limoges et au théâtre de Besançon aux côtés d’Isabelle Druet et de Marie Bénédicte Souquet avec Jean François Verdier à la direction et Nathalie Pernette à la mise en scène.
J’ai également de nombreux concerts de musique de chambre avec des programmes qui me plaisent. C’est une grande chance !!
Pourriez-vous faire l'exercice de décrire votre voix? Quels sont vos atouts? Que pensez-vous avoir à travailler davantage?
MT J’ai un timbre qui ne laisse pas indifférent. Est-ce un atout ? Pas toujours… Je pense être musicienne et j’essaie de mettre ma technique vocale au service de cette musicalité. Je prends des risques, je ne veux pas m’ennuyer ! J’ai longtemps travaillé l’homogénéité de la voix et la bonne prononciation, je pense que cela est sur la bonne voie !!
Je vocalise bien aussi !!
Il faut continuer à travailler la souplesse des aigus et à développer la voix, encore et encore !!
Quels sont les domaines qui vous tiennent particulièrement à coeur dans le répertoire?
MT Je veux défendre la musique contemporaine, j’aime travailler avec les compositeurs, c’est une chance de les avoir à côté de soi pendant toute la période qui précède les concerts pour aller au fond des choses. Il y a alors une grande complicité avec l’œuvre !
La musique de chambre ma passionne, sans chef, l’écoute est différente, plus intense.
Et l’opéra !! Ce que j’aime particulièrement c’est tout le travail en amont des représentations. Tout d’abord on doit préparer techniquement, chaque note est « mise dans le corps », puis musicalement avec des chefs de chant, puis il faut s’approprier le personnage, ne faire plus qu’un avec lui. Ensuite vient le temps des répétitions avec le chef, les autres chanteurs, le metteur en scène. Chaque étape est passionnante et indispensable !
Pour le concours vous avez dû préparer un morceau imposé que l'ARD a commandé au compositeur M. Trojahn. Connaissiez-vous les oeuvres de ce compositeur? Vous avez reçu la partition vers le 15 juin. Comment l'avez-vous travaillée? Est-ce un défi difficile à relever?
MT J’ai déjà travaillé des pièces de Manfred Trojahn, notamment les 3 Chansons pour deux sopranos. J’ai eu peu de temps pour la préparer mais je pense que je n’étais pas la seule dans ce cas ! J’ai des réflexes de lecture, j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler cette pièce.
Lors de la première épreuve du Concours de l'ARD, vous avez choisi de chanter un extrait de la Passion selon Saint-Jean de Bach? Qu'est-ce qui motive ce choix plutôt sobre et austère, dans un concours où la plupart des participantes préfèrent des arias beaucoup plus éclatantes? Vous avez ensuite interprété un air avez beaucoup de délicatesse et un raffinement de nuances dans l'expression des sentiments un extrêmement technique de Mozart, Abendempfindung. Est-ce une manière de signaler l'intérêt que vous portez à la maîtrise de la technique vocale?
MT Dans le règlement, il était écrit que nous chanterions intégralement notre programme de premier tour, c’est pourquoi je l’ai construit ainsi : une pièce de musique ancienne (Bach), un lied (Mozart) et pour finir un air plus brillant en français de Gounod. Il y avait beaucoup de monde, ils ont décidé de ne pas tout écouter. La soprano avant moi n’a chanté qu’un seul air, je n’ai pas chanté le Gounod.
La technique vocale, à mon sens, doit être un moyen d’expression, j’espère que vous avez entendu de la musique !
Pour terminer, quels conseils donneriez-vous à des ados ou à des jeunes qui voudraient se lancer dans la carrière?
Je fais encore partie de ces jeunes j’espère !! Il faut travailler, travailler et être très passionné !!
Merci, Marion Tassou, d'avoir bien voulu prendre le temps de répondre à ces quelques questions et de nous avoir communiqué votre enthousiasme pour le chant!