Si l'été fut relativement calme sur les marchés, c'est essentiellement parce que le président de la BCE, Mario Draghi, avait annoncé en juillet que son institution
était prête à acheter les obligations des États en difficulté. Plus exactement, dans le cadre d’une conférence destinée aux investisseurs, il avait déclaré cette phrase sibylline : "en respectant son mandat, la BCE est prête à prendre toutes les mesures pour préserver l’euro, et croyez-moi, ce sera suffisant”
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En complément, lors d'un entretien accordé un peu plus tôt à Erik Izraelewicz, Claire Gatinois et Philippe Ricard, il avait déclaré avec fermeté : "on voit des analystes imaginer des scénarios d’explosion de la zone euro. C’est méconnaître le capital politique que nos dirigeants ont investi dans cette union et le soutien des Européens. L’euro est irréversible !". Sauf que... le simple fait de déclarer cela revient à donner corps à cette possibilité d'explosion de la zone euro !
Quelles furent les annonces de la BCE le jeudi 6 septembre ?
Le principal taux directeur de la BCE est resté fixe à 0,75 %, tout comme le taux de la facilité de prêt marginal (1,50 %) et son taux de facilité de dépôt (0 %).
Mais c'est l'annonce d'un nouveau programme de rachat de titres de dette d'États de la zone euro qui a retenu l'attention. Baptisé Outright monetary transactions (OMT), celui-ci va
remplacer l'ancien programme de rachat lancé en mai 2010, le Securities Market Program (SMP) qui n'avait pas suffit à rassurer durablement les
marchés malgré le rachat de quelque 210 milliards d'euros d'obligations d'État.
La finalité est donc d’abaisser les taux d’intérêt sur les obligations souveraines des pays qui souffrent de taux de refinancement très élevés, car la BCE estime que ces taux ne reflètent pas toujours les fondamentaux économiques du pays.
En quoi consistera le programme de rachat OMT ?
D'après les éléments dont nous disposons, le programme OMT aura les caractéristiques suivantes :
* c'est un programme illimité (en termes de quantité et de temps) d’achats par la BCE d’obligations souveraines sur le marché secondaire
* la BCE ne fixe aucun niveau d'écart maximal de taux d'emprunt (cet écart s'appelle spread dans la jargon) entre les États de la zone euro au-delà duquel elle interviendrait en achetant des titres de dette.
* les acquisitions d’obligations seront entièrement stérilisées, c’est-à-dire que ces achats ne s'accompagneront pas d'une augmentation de la masse monétaire au sein de la zone euro. Pour ce faire, à chaque fois qu'elle rachètera des obligations souveraines, la BCE retirera ailleurs dans le système monétaire un montant équivalent de liquidités.
* les acquisitions faites, rappelons-le sur le marché secondaire, se concentreront sur des obligations d'État de maturité allant de 1 à 3 ans, ceci dans le but de rassurer les Allemands ne pas laisser croire à un financement monétaire des déficits publics (interdit par les Traités européens du reste).
* les détentions d’obligations de la BCE ne bénéficieront plus d'un statut privilégié dans l'ordre des créanciers (on appelle ce statut privilégié "créancier super
senior", et désormais les créanciers sont réputés "pari passu", c'est-à-dire traités de manière égale). Cela signifie
qu'en cas de défaut, la BCE devrait prendre ses pertes comme les investisseurs privés, condition qui devrait, dans l'idée de la BCE, redonner confiance à ces derniers d'acheter des titres d'État
et les conserver jusqu'à maturité.
Point le plus important du programme OMT : l’intervention de la BCE ne pourra s'effectuer qu'à la stricte condition que les États qui souhaitent en bénéficier
fassent formellement appel à l'aide des fonds de secours européens, le FESF ou le MES, ce qui implique un programme d’ajustement défini par les institutions européennes. Néanmoins, il semblerait
qu'une marge existe en ce sens qu'il ne s'agirait pas nécessairement d'un plan complet d’ajustement, à l'image des plans drastiques en Grèce, mais d'une surveillance stricte opérée par les institutions européennes et
le FMI.
Ce programme va-t-il sauver la zone euro ?
Il est bon de se rappeler qu'à chaque rencontre, les dirigeants européens parlent d'un sommet de la dernière chance, capable d'endiguer la crise. Ce programme de la BCE apparaît dès lors comme un subtil compromis entre la position de l'Allemagne, représentée jusqu'à la caricature par le président de la Bundesbank Jens Weidmann qui refuse toute évolution, et la nécessité d'intervenir en prêteur en dernier ressort pour sauver la zone euro. Comme l'intervention se fera sur des maturités de 1 à 3 ans, il est fort probable que la maturité moyenne des créances souveraines va diminuer, augmentant encore les risques d'instabilité financière.
Quant au risque d'aléa moral, il subsistera puisqu'une fois que la BCE se sera engagée à racheter la dette d'un pays, on ne voit pas comment elle pourrait arrêter proprement son programme même si le pays ne respecte pas ses engagements. En effet, si elle décidait par exemple de vendre sur le marché les titres acquis, elle provoquerait assurément une nouvelle crise...
Mais ce programme, aussi bien calibré soit-il, ne règlera pas la crise de la zone euro pour la simple et bonne raison que les dirigeants européens n'ont toujours pas admis qu'il s'agit d'une crise de la balance des paiements, donc fondamentalement d'un problème de solvabilité et non de liquidité ! Des pays comme l'Espagne, l'Italie ou la Grèce ont un déficit extérieur structurel (c'est-à-dire une balance courante structurellement déficitaire) qui les oblige à s'endetter sans cesse à l'étranger. Or, cette dette extérieure est devenue excessive au point de rebuter les prêteurs non-résidents à continuer de prêter. Ces pays n'arrivent par conséquent plus à financer leur déficit extérieur et renouveler leur dette extérieure. Mais en raison de leur appartenance à la zone euro, leurs difficultés extérieures ne se traduisent plus par des variations de taux de change... mais par des taux d'intérêts très élevés !
Pour sauver l'euro, il n'existe que deux possibilités à ce stade : 1) créer une Union européenne fédérale où les déficits extérieurs sont compensés par des flux de revenus en provenance des pays excédentaires. 2) faire disparaître le déficit extérieur si personne n'est prêt à prêter des fonds aux pays en difficulté La deuxième solution revient à appliquer des politiques économiques de rigueur qui, on le constate un peu partout et notamment en Grèce, conduisent à une forte hausse du chômage mais aussi à une baisse de la production et de la demande intérieure, ce qui aggrave encore plus le déficit budgétaire et réduit le pouvoir d'achat des ménages ! Ainsi, comme je l'ai expliqué dans ce billet, si la zone euro ne développe pas un véritable fédéralisme pour compenser les écarts de compétitivité, les pays en difficulté ne pourront bientôt plus supporter politiquement, socialement et économiquement ces politiques de rigueur et devront dès lors envisager de quitter l'union monétaire avec toutes les conséquences désastreuses que l'on peut imaginer !