Kindle : début de polémique autour du financement par la publicité

Par Ebouquin

Le Kindle 3, premier modèle financé par la publicité

On a beau re-regarder l’enregistrement de la conférence de presse d’hier soir, on ne voit aucun astérisque accolé aux prix sur les slides de Jeff Bezos, fondateur et PDG d’Amazon. Certes, dans le feu de l’action, l’agressivité des tarifs annoncés a contribué au buzz mais, à froid, l’astérisque existe bien sur la fiche produit de chacun des modèles présentés hier soir. Que dit-il ? Tous les modèles annoncés (le Kindle à 69$, le Kindle Fire à 159$ etc.) sont financés par la publicité.

Rien de nouveau dira-t-on puisque le Kindle 3 avait inauguré la méthode voilà presque deux ans. Ce modèle a permis de démocratiser le Kindle en le vendant à un prix toujours plus bas, jusqu’à attendre le prix plancher du dernier Kindle (seulement 69€). Le modèle est simple : Amazon vend ses appareils à perte ou avec une marge minime et récupère le manque à gagner sur les contenus et le chiffre d’affaires généré par sa régie publicitaire.

Jusqu’à présent, le Kindle Fire avait été épargné par ce mode de financement mais la nouvelle gamme a changé les choses. Désormais, on peut voir les mentions suivantes sur les pages du Kindle Fire et du Kindle HD sur Amazon.com.

Même chose sur Amazon.fr.

Amazon précise bien que l’affichage publicitaire sera cantonné à un encart sur la page d’accueil et aux écrans de veille. Ces conditions ne sont pas nouvelles puisqu’elles reprennent celles qui sont appliquées depuis deux ans sur les Kindle E-Ink. Les publicités font la réclame pour des offres promotionnelles, en fonction de vos habitudes d’achat. Là encore, le savoir-faire d’Amazon fera ses preuves en affichant des publicités des plus ciblées.

Il reste, qu’au fur et à mesure, la pub s’insère toujours plus profondément dans les contenus. Pour preuve, l’ajout dans les jeux vidéos compatibles avec le Kindle Fire de lots à débloquer, qui ne sont ni plus ni moins que des offres commerciales (cf. image ci-dessus). Il est intéressant de voir qu’Amazon précise bien qu’aucune publicité ne sera affichée pendant la lecture d’un ebook. Le livre bénéficie d’un statut particulier, comme sanctuarisé, mais les autres contenus (films, musique, applications) ne seront peut-être pas préservés longtemps de l’affichage de quelques encarts.

Sur ce point, nous sommes habitués aux publicités lors du visionnage d’une vidéo sur YouTube, même chose pour la musique entrecoupée d’annonces sur les offres de streaming gratuites. Certes, cela permet de toucher un plus large public qu’avec une offre payante mais, bien souvent, la pub gêne ou détériore l’expérience utilisateur. Malheureusement, le prix à payer pour la démocratisation de ces tablettes semble être la généralisation de la publicité.

N’est-ce pas un retour en arrière, aux magazines papiers noyés sous les pubs alors que se développent de plus en plus de contenus financés uniquement par l’abonnement ou l’achat à l’acte ? De la publicité à vie (même si l’on ne cesse de rappeler que nos gadgets électroniques connaîtront la “mort programmée”, l’un de mes iPhone résiste bien depuis presque 4 ans…) pour une réduction de 20-40$ ? C’est une nouvelle époque pour la consommation de masse.

Pour remédier à cela, Amazon proposait une solution. Il est possible d’acquérir un Kindle E-Ink avec pub puis de la faire disparaître ultérieurement moyennant le paiement d’un montant déterminé (20$ plus les taxes sur un Kindle E-Ink). Cependant, en fin de semaine, le site The Verge a contacté un porte-parole d’Amazon qui a indiqué que cela ne sera pas le cas pour le nouveau Kindle Fire et le Kindle Fire HD.

En quelques heures la polémique a enflé si bien qu’Amazon a indiqué au site TechCrunch que les utilisateurs du Kindle Fire HD (le Kindle Fire ne semble pas concerné…) pourront s’affranchir de l’affichage publicitaire moyennement la somme de 15$, avant de préciser :

“Nous savons que nos utilisateurs de Kindle aiment nos offres promotionnelles et que très peu de personnes choisissent de les désactiver. Nous sommes heureux d’offrir le choix à nos clients.”

Pourquoi, avant ce revirement, l’entreprise a pensé imposer cette limitation ? Même si Amazon vend à perte ses appareils, l’intégration d’une régie pub sur un Kindle pendant toute sa durée est sûrement une solution lucrative pour l’entreprise. De quel droit le consommateur n’aurait-il pas droit automatiquement à un opt out pour sanctuariser sa tablette, s’affranchir de l’affichage publicitaire ?

Ne pourrait-on pas, en plus, imaginer une période d’expiration pour l’affichage de pubs ? A la manière des contrats avec une durée d’engagement des opérateurs téléphoniques. Au bout d’un an, l’utilisateur d’un Kindle Fire aurait la possibilité de désactiver gratuitement la publicité. Mais cela ne représentera-t-il pas un important manque à gagner pour Amazon ?

Avec sa gamme de tablettes à prix cassés, Amazon a fait un pari, celui que les utilisateurs sont prêts à subir de la publicité pour “acheter” une tablette à moindre coût. En pensant son hardware comme des services, Jeff Bezos estime que son client est gagnant. D’ailleurs, la doctrine d’Amazon est clair : être gagnant que lorsque son client l’est. Jeff Bezos l’a indiqué lors de la conférence de presse de jeudi : “Nous voulons faire de l’argent lorsque nos clients utilisent nos appareils, pas lorsqu’ils achètent nos appareils”.

Pourtant, nul ne sait combien rapporte un client Amazon équipé d’un Kindle Fire sur la durée de vie de son produit. L’année dernière, une étude du cabinet RBC (via AllThingsD) indiquait que pour une perte de 2 ou 3$ sur chaque Kindle Fire vendu, l’utilisateur générerait 100$ de chiffre d’affaires pour Amazon en achetant des contenus. Un chiffre appelé à augmenter avec la généralisation des Fire “with ads”.

La publicité (et l’absence de compatibilité avec le format EPUB sur les liseuses E-Ink) risque de rebuter bon nombre d’utilisateurs, comme l’écrit avec intelligence François Bon. Les éditeurs de contenus pourraient être aussi freinés par ce modèle. Est-ce que cela fait sens pour un lecteur de se voir aussitôt afficher une réclame pour Le Point au moment où il referme sa tablette sur Le Nouvel Observateur ? Ou une publicité pour le dernier Marc Levy après avoir lu du Publie.net ?

Créateurs, éditeurs et lecteurs, de même qu’il y a eu des débats vifs sur le prix des livres numériques et des droits d’auteurs, la question de la distribution au lecteur final est un enjeu crucial.

Crédits photo : The Verge