Crise de la dette (1) : des médias biaisés

Publié le 10 septembre 2012 par Copeau @Contrepoints

La partialité des médias français dans la présentation de la crise de la dette ne permet pas la formation d’une opinion éclairée sur le sujet.
Par Domi.

Le mouvement "Occupy Wall Street"

L’opportunité de la réduction des déficits publics est sans doute la question la plus urgente posée à nos sociétés.

Pourtant, les médias français ne permettent pas la formation d’une opinion éclairée sur le sujet. Leur partialité leur interdit de procéder à la présentation objective des différentes argumentations qu’elle implique. Sauf chez les éditorialistes dont les opinions sont d’ailleurs plus partagées, l’opposition des médias aux politiques de rigueur est rarement formulée directement. Ils préfèrent montrer des mouvements illustrant un refus supposé de la rigueur de la part des peuples. Cela leur évite d’avoir à exposer les arguments des deux camps. Lorsqu’il est question des résultats économiques de ces politiques, la démarche n’est guère plus rigoureuse.

Examinons comment les médias favorisent les deux idées suivantes :

  • les populations s’opposent à la rigueur imposée par les gouvernements (A),
  • la rigueur est un échec économique (B).

Médias et réactions populaires aux politiques de rigueur

Nous l’avons dit, insister sur la perception des populations, si la question n’est pas traitée avec objectivité peut être un moyen détourné d’influencer l’opinion du public sur le débat principal.

La technique du reportage fournit un excellent alibi à une présentation totalement biaisée de la question. Elle permet de mettre en valeur les mouvements ayant l’appui des médias. Leurs participants seront par exemple décrits comme particulièrement concernés par les problèmes du monde (comme si leurs opposants ne l’étaient pas) ou comme des contestataires dont les opinions séduisent un nombre de plus en plus important de personnes. Flatter l’instinct grégaire de la jeunesse tout en lui donnant l’illusion de l’irréductible originalité de ses aspirations est une méthode particulièrement bien assimilée par la propagande gauchiste. Au cours du reportage, les représentants de ce type d’organisation seront interrogés. Ils livreront alors une vision caricaturale de leurs adversaires, de leurs motivations ou de leurs arguments.

Le reportage, il est vrai, n’est pas condamnable par lui-même. Sans lui, il n’y aurait pas de journalisme et donner au public une meilleure connaissance des acteurs en présence, lui rendre compte des évolutions de l’opinion, en sont des missions essentielles. Toutefois l’esprit dans lequel il est fait contrarie leur bonne exécution. En effet, le reportage n’est plus ici conçu pour ce pourquoi il serait utile mais a au contraire pour but inavoué de trancher la question qui oppose les groupes d’opinion qu’il présente. Négligeant son objectif légitime, il apportera de mauvaises réponses dans une recherche pour laquelle il n’est pas approprié.

Le mouvement des indignés a été présenté comme une manifestation spontanée du désaveu des politiques d’austérité par les opinions publiques. Pourtant, au vu des effectifs qu’il rassemble mais aussi de son organisation et son évolution, l’assise populaire du mouvement est plus que douteuse. Contrairement aux révoltes du printemps arabe qui se sont d’abord développées dans un pays, la Tunisie, avant de se répandre dans d’autres sociétés par effet de contagion, le mouvement des indignés est d’abord apparu sous la forme de petites manifestations (réunissant au plus des centaines de personnes) synchronisées dans l’ensemble des pays développés. Un tel phénomène suggère une organisation centralisée comme semblent le confirmer le lien suivant ou encore celui-ci.

Malgré les effectifs ridicules de certaines manifestations, les indignés eurent droit en France à une couverture médiatique large et régulière, comme s’ils représentaient une tendance considérable ou comme si en les faisant voir ainsi, les journalistes espéraient les voir jouer ce rôle. À la fin de cet article du Monde, il est question d'un concert ayant réuni plus de cent cinquante personnes dans une ville comme New York qui en compte vingt millions. Un vulgaire match de football de ligue 2 (Par exemple le dernier Tours - Niort) réunit quant à lui près de 4000 personnes dans une ville qui compte 135000 habitants... Si l’on veut borner la comparaison au domaine politique, notons que, même en ne prenant en compte que les chiffres donnés par la police, les traditionnelles manifestations du premier mai engagent des effectifs bien plus considérables.

Le mouvement espagnol eut une assise populaire plus large dont certains médias français tirèrent vite parti pour suggérer qu’il révélait la tendance de fond de l’opinion espagnole face à la crise.

Manifestation des "indignés" espagnols

Il fut alors difficile d’expliquer la très large victoire lors des dernières élections d’une droite espagnole, qu’on ne pouvait guère soupçonner de partager les vues des indignés. Une journaliste de RTL se tira du piège avec une grande habileté. Pour lui donner un vernis scientifique la journaliste commençait son reportage par l’analyse d’un universitaire espagnol expliquant que l’électorat de gauche s’était démobilisé, la politique du gouvernement socialiste ne traduisant pas ses aspirations. Ce premier commentaire justifiait d’interroger ensuite un « indigné » déçu par la gauche.

Si je n'ai pu retrouver la trace du reportage en question, cet article donne un aperçu des présupposés d'un tel journalisme. Le point de vue de l’électeur majoritaire était négligé au profit d’un abstentionniste. Le basculement de l’opinion espagnole vers les revendications de gauche et l’opposition à toute politique de rigueur étaient donc compatibles avec une victoire historique de la droite puisqu’elles en étaient précisément l’explication ! Certes, un lien entre radicalisation politique et abstention dans l’électorat de gauche est plausible mais transformer une victoire de la droite en révélateur d’une dynamique de gauche relève davantage du militantisme politique que d’une présentation objective des faits.

Il est évidemment des cas où l’hostilité aux politiques d’austérité est réelle comme l’ont montré les dernières élections grecques. Parfois, des réactions moins directement politiques à l’austérité sont décrites. Elles peuvent ainsi correspondre à l’expression d’un mal-être. Par exemple un lien entre austérité et recrudescence des suicides en Grèce a été mis en avant. Un article remarquable de Georges Kaplan montre cependant à quel point cette relation repose sur une sélection arbitraire des données.

La Grèce est également donnée comme illustration de l’échec économique de telles politiques.

Médias et résultats économiques des politiques de rigueur

Selon l’opinion majoritaire des organes de presse, les tentatives de retour à l’équilibre budgétaire par la compression des dépenses publiques aggraveraient au final la situation budgétaire en empêchant la relance de l’économie et le retour de la croissance.

Pourtant bien des éléments vont à l’encontre de l’idée qu’une politique d’austérité serait mise en œuvre en Grèce. Tout d'abord, les déficits publics de ce pays sont contraires à une logique d’austérité. Ensuite, pour que nous soyons réellement en présence d'une politique d'austérité, la dépense publique aurait permis d’atteindre l’équilibre budgétaire. Cela implique une baisse permettant d’absorber trois facteurs de déséquilibre :

  • le déficit public précédant la crise,
  • la baisse du PIB durant la crise,
  • la baisse des recettes publiques en pourcentage du PIB en période de crise,

Or, si l'on suit l'évolution de la dépense publique par rapport au PIB, on constate que la réalité ne correspond pas au discours dominant. Entre 2007 (début de la crise des subprimes aux États-Unis) et 2009, la dépense publique a connu une augmentation rapide. Certes il y eut une baisse ensuite mais elle fut loin de compenser la hausse antérieure. Or, la hausse comprise entre 2007 et 2009, alors que l'économie grecque n'était pas en récession, n'aurait-elle pas dû en bonne logique keynesienne éviter à la Grèce de subir la crise connues par d'autres pays ? Cela ne s'est pas produit. Il semblerait alors que c'est bien le niveau de déficit qui a été à l'origine de la crise et non l'austérité.

Ce graphique illustre l'évolution de la dépense publique grecque (source : cet article de Véronique de Rugy, dernier tableau) par rapport à celle du PIB (voir la troisième colonne en partant de la droite du tableau correspondant à ce lien).

D’autres raisons font que l'exemple grec n’est pas conclusif. Quelle que soit la nature de la politique menée, la détérioration de la situation s’explique peut-être davantage par la gravité de la maladie que par l’inefficacité du remède prescrit. Un exemple unique ne permet pas d’évaluer l’intérêt d’une politique économique. De même pour l’avenir, aucune des deux options ne permettrait de retrouver la croissance et stopper l’endettement. La Grèce, virtuellement en défaut, est à elle seule impuissante. Le problème s’inscrit dans un cadre international où divers pays ou organisations se concertent.

Si, dans le cas de la Grèce, nous sommes en présence du traitement partisan d’une question méritant une réponse nuancée, il arrive que certaines prises de position soient l’exact contraire de la vérité. Ainsi, l’éditorialiste du New York Times et prix Nobel d’économie Paul Krugman a défendu les politiques de relance en comparant les États-Unis des années cinquante à la Grande-Bretagne actuelle. C’est en ne se souciant pas de l’importance des déficits publics que selon lui les États-Unis auraient jugulé leur endettement. Il dénonce pour cette raison l’erreur dans laquelle s’engage la Grande-Bretagne de James Cameron en menant une politique d’austérité. Pourtant, comme l’a montré Le Minarchiste, c’est bien dans l’Angleterre actuelle que les recommandations de Keynes (et de Krugman) ont été les mieux respectées, avec le résultat que l’on connait.

Si les commentaires relatifs à la crise et à ses solutions témoignent d’aussi peu de rigueur, il est d’autant plus important de définir le mieux possible les conditions d’un examen empirique permettant de trancher entre les deux thèses. Avant cela, il convient d’avoir une compréhension suffisante des théories en présence et de ce qu’elles prédisent pour le confronter à la réalité.