Depuis plusieurs jours déjà, le grand patron français Bernard Arnault est au cœur d’une polémique sans précédent depuis sa demande de double nationalité franco-belge.Empereur du luxe, virtuose des montages financiers, il collectionne les superlatifs d’une réussite sans faille. Son appétit insatiable pour les affaires, jamais rassasié, le conduit aux plus hauts sommets de la finance.Doté d’un flair, d’une intelligence hors norme, voici l’occasion d’approcher un homme dont le travail et la réputation n’a d'égal à nul autre pareil.
Issu d’une famille d’industriels du Nord (Roubaix), Bernard Arnault ambitionne très tôt de devenir le patron de l’entreprise Ferret-Savinel, société de construction de bâtiments industriels, appartenant pour moitié à son grand-père maternel. Il est âgé de 18 ans quand Mai 68 explose. Les grèves ouvrières le contrarient. Alors que ses camarades de Polytechnique visent les cabinets ministériels, il est désigné héritier par sa grand-mère et se contrefiche de ces ambitions politiques. Diplôme en poche, il entre comme simple ingénieur dans l’entreprise familiale dirigée alors par son père. On le décrit comme un jeune homme pète-sec, prompt à la ramener !Mais le jeune Bernard ne s’arrête pas là. Il débute une carrière dans la promotion immobilière, secteur dans lequel les bénéfices sont confortables. On y est "maître de son affaire et proche du client".Dés 1976, le jeune homme convainc ainsi son père de revendre ses activités industrielles pour construire en bord de mer et à la montagne des maisons et des immeubles Perret-Savinel destinés aux classes populaires épargnantes.Les radios vantent massivement les qualités de ses logements de loisir. Dix ans plus tard, l’entreprise compte 900 personnes. A 36 ans, il cherche déjà à se diversifier.
Jeune homme bien sous tout rapports, réservé voire timide, Arnault roule Tapie dans la farine. Oui, épaulé par son avocat Jean-Louis Borloo, Tapie / l'autre Bernard, repreneur de Manufrance, cherche à récupérer rapidement l’une des pépites du groupe : le Chasseur français. Mais le droit commercial le lui interdit. Il en confie donc le portage au jeune Arnault, qui acquiert le magazine pour 80 millions de francs, tout en s’engageant, selon Tapie, à le lui revendre. A l’échéance, les masques tombent. Arnault cède directement le mensuel à un tiers, en s’octroyant l’intégralité de la plus-value. Un travail d’orfèvre.
L’élection de Mitterrand à la présidence de la République va inquiéter le requin trentenaire. Il s’exile en Floride à l’école de squales plus dangereux que les socialistes français. Là, il a l’imprudence de construire une tour… non-loin d’une centrale nucléaire. Difficilement négociable à la revente. Affaire loupée, le métier rentre !Mais Arnault ne prendra sa revanche qu’en 2004, en inaugurant à New-York, aux côtés de la sénatrice Hillary Clinton, un incroyable gratte-ciel LVMH.
Tour LVMH à New-York
Et c’est la gauche, au milieu des années 1980, qui lui remet le pied à l’étrier…
En 1984, Laurent Fabius, et son ministre de l’industrie traînent un boulet : la Compagnie Boussac Saint-Frères. De ce lourd conglomérat, l’état a repris les activités textiles, tout en laissant à ses propriétaires, les quatres frères Willot, les jolies pépites que sont Dior, Peau douce, Le Bon Marché et Conforama. Boussac ne survit que sous perfusion d’argent public et les socialistes cherchent un repreneur. Les trois prétendants, Maurice Bidermann, Pierre Berger et Tapie trop confiants de leurs appuis parisiens, ne prennent pas le temps d’aller courtiser les Willot. Mais Arnault joue la solidarité nordiste et s’accroche. Il propose un montage financier inédit. Pour assurer l’aventure, le promoteur dispose d’à peine 40 millions de francs (€6,1 millions) tirées de la revente des activités industrielles de la société familiale. Mais peu importe, c’est le Crédit Lyonnais qui va jouer la poule aux oeufs d'or en lui avançant 50 millions de francs. La banque Lazard, les industries Elf, Total et une mystérieuse société libanaise à capitaux syriens apportent quant à elle, 250 millions.Arnault s’engage auprès de Matignon à garantir l’emploi et la survie du groupe en s’interdisant son démantèlement. La prise de pouvoir fêtée, les jolies promesses restent en l’état. Dés son installation au siège du conglomérat, il engage une revente d’actifs. Comblé, il réalise qu’il dispose d’un portefeuille de 5 milliards de francs. En quelques mois, les boursiers propulsent les actions Boussac vers les sommets. Cette belle envolée enrichit patrimonialement Arnault, détenteur de plus de 16% du capital du groupe. A Matignon, Fabius se la ferme. A un an des législatives, pas question de passer pour un imbécile…
Sacré empereur du luxe grâce au Saint Crédit Lyonnais ! Bernard Arnault ne conservera de Boussac que trois sociétés : Conforama, Le Bon Marché et… Dior son joujou préféré. Désormais, il s’attèle à son grand œuvre : construire autour de la Maison Dior, perle de l’avenue Montaigne, un groupe de prêt-à-porter, d’accessoires, de parfums, de cosmétiques et de spiritueux.Le luxe offre deux avantages : des marges aussi dodues qu’inaltérables. Dans un monde où les inégalités explosent, les riches sont rarement atteints par les vicissitudes qui accablent le commun des mortels. Encore faut-il dénicher les bons chevaux, qui vont provoquer à foisons de nombreuses critiques et savoir décliner sous un même nom tous les produits de compléments, sacs, foulards et autres lunettes…Recruté à la tête de Dior, John Galliano va littéralement hystériser la planète mode. En 1987, Arnault s’offre un deuxième joker, en enlevant à Jean Patou, un jeune inconnu, Christian Lacroix. Mais entre le manager et le couturier, l’incompréhension va vite devenir abîme, puis rupture.
En 1988, le patron se lance à la conquête du fleuron familial LVMH. Propriétaire des parfums Dior, ce groupe de maroquinerie et de spiritueux est né d’un mariage houleux entre le malletier Louis Vuitton et les Maisons de Champagne et Cognac Moët-Hennessy.Le groupe est vulnérable, le capital dispersé et ses patrons divisés.Henry Racamier le président de Louis Vuitton, l’appelle. Il craint celui de Moët, Alain Chevalier, qui veut faire entrer au conseil d’administration le britannique Guinness. Henry Racamier pense donc à Bernard Arnault pour faire contrepoids.Pendant ce temps, Arnault prend conseil auprès de ses amis banquiers. Le PDG de Dior fait semblant de se laisser séduire par Alain Chevalier et rafle en Bourse 22% du capital, s’allie avec Guinness et prend le pouvoir. Alain Chevalier et Henry Racamier n’ont rien vu venir. Un fantastique coup de… maître !
Au terme d’une intrigue de type « sherlockomesque », Bernard Arnault prend le contrôle de ce fleuron en trahissant successivement ses propriétaires. Les affaires sont les affaires.Porté par le grand vent du capitalisme, le patron de LVMH accélère ses acquisitions. Il échoue à mettre la main sur Gucci, propriété de son rival François Pinault, mais se console en relançant la Maison italienne Fendi.
En novembre 1994, le redoutable homme d’affaire, dont le culot a bluffé toute la place, se voit remettre sur la veste de son costume Dior l’insigne de la Légion d’Honneur…
Itinéraire, dis-je, d’un fils de famille d’industriels du Nord, qu’un mélange de flair, de sens du coup et de rouerie a porté à la tête d’un empire colossal.Fabrice Gil
(Sources - Laurence Dequay pour Marianne)