L’Inadvertance d’Alain Suied

Par Etcetera

Dans le recueil L’Éveillée d’Alain Suied, publié en 2004 par les éditions Arfuyen, et presque entièrement consacré au thème de l’absence et du deuil, mon attention s’est portée plus particulièrement sur le mince recueil L’Inadvertance parce que, d’une part, ses accents sont moins sombres et surtout moins lyriques et, d’autre part, parce qu’Alain Suied semble vouloir renouer avec une forme proche de celle de la chanson.
Je donne ici les deux premiers poèmes de ce beau recueil :

1

Qui témoigne pour nos blessures ?

C’est par inadvertance que vient
l’arbre dans la terre, c’est par jeu
que la feuille naît dans l’arbre
et nul ne sait pourquoi le vent
et la pluie décident soudain
de se perdre dans ses branches.

Tu pourrais vivre sans savoir
mais qui peut vivre sans témoin ?

C’est par inadvertance que vient
la faim sous la dent, c’est par jeu
que la proie devient mâchoire
et nul ne sait pourquoi le sang
et la blessure décident soudain
de hanter les rêves de la terre.

Tu pourrais vivre sans savoir
mais qui peut vivre sans témoin ?
C’est par inadvertance que vient
la pensée dans la chair, c’est par jeu
que le fantôme revient dans le coeur
et nul ne sait pourquoi la mémoire
et la justice décident soudain
de témoigner pour nos blessures.

2

Qui porte mon visage ?
Est-ce moi ? Est-ce toi ?
Mémoire – tel est ton nom, visage !

Le visage est lourd, le visage est léger
des générations de silence
des gouffres traversés
des rires et des douleurs
le visage ne sait que refléter
la lumière d’un espace inconnu
oublié ou futur
le visage est tout ce qui n’est pas moi
le visage aux sept portes
ouvre sur l’inconnu du monde.

Qui invente mon visage ?
Est-ce toi ? Est-ce moi ?
Visage – tel est ton lieu, mémoire !

L’inatteignable : tel est le visage.
Et comme l’horizon, il brille
presque dénué de sens
nu, premier, natal.

(…)