L'insoutenable légèreté de la crédibilité de la BCE

Publié le 09 septembre 2012 par Copeau @Contrepoints

Sur le plan financier, le 6 septembre fut une journée remplie : Mario, le plombier dynamique de la Banque Centrale Européenne, devait absolument poser de nouveaux tubes et autres dérivations subtiles pour calmer les marchés et éclaircir un tant soit peu l'avenir économique de la zone euro. De ce point de vue, le pari fut réussi. Du point de vue de l'homme de la rue, en revanche, le ciel continue de s'assombrir doucement.

Si vous avez vécu dans une grotte ces derniers trois douze trente-six mois, vous n'aurez probablement pas noté qu'au départ évidemment liée aux méchants capitalistes américains qui ne font rien qu'à endetter les pauvres et sucer le sang des états avec les subprimes, la terrible crise qui s'est abattue sur le monde des câlins sociaux-démocrates s'est ensuite transformée en monstre gluant des liquidités bancaires rapidement suivie d'une mutation pathogène venue de l'espace : c'est la dette souveraine des états occidentaux, notamment européens, qui a pris cher dans le groin. Et comme chacun le sait, si les États eux-mêmes ne sont pas responsables de ce qui leur arrive, c'est donc une bordée d'extra-terrestres (reptiliens, franc-maçons et cosmopolites, soyez-en sûrs) qui est directement responsable du caca dans lequel pataugent péniblement la zone euro, les USA et leur dollar ainsi que le Japon et son économie anémique.

Bref. Et comme l'Espagne, après la Grèce, s'enfonçait de plus en plus vite dans un gouffre duquel on ne sort que par une faillite retentissante, il était temps pour le patron des Imprimeries de Billets Colorés d'intervenir avec force. Mario Draghi a donc, pendant plusieurs semaines, multiplié les petits messages un coup lénifiants, un coup menaçants, un coup volontaires, afin de dompter les marchés financiers comme le dresseur de fauves avec son fouet claquant au rythme des numéros qu'il propose.

Reconnaissons-lui ce mérite : le brave Mario a plutôt réussi son coup puisque les vacances d'été sont passées avec quelques frayeurs, mais finalement sans explosions majeures. Limiter ainsi la casse sans se lancer dans une politique coûteuse de rachat à tour de bras (en tout cas, pas officiellement), c'était -- politiquement -- bien joué.

Je dis politiquement, parce que sur le plan économique, le problème de fond (et de fonds) n'est quant à lui absolument pas résolu : les dettes s'accumulent. En Espagne, l'Andalousie a maintenant rejoint la Catalogne et réclame des sous avec véhémence pendant que Bankia devra être tendrement bailoutée. En Italie, la situation n'est pas meilleure, les agences de notation se réveillant pour baisser la notation de sa dette souveraine... Bien sûr, en France, tout va super-mieux depuis que le président, Super-Normal, en super-forme pendant l'été après ses super-vacances, a décidé de faire de super-économies en assommant les producteurs de richesses français d'une dose massive d'impôts et de taxes. Ça leur apprendra.

Il a donc fallu, pour Mario, agir à nouveau en proposant quelques mesures à la fois simples, peu coûteuses (toujours politiquement) et de bon aloi : du champagne et des escort-girls à gogo.

J'exagère ? Allons.

Vu la réaction des marchés financiers (premiers consommateurs de ces biens & services), il n'y a pas à douter de la fidélité de mon image. Le jargon technique est le suivant : en s'appuyant sur l'article 18 des statuts de la BCE, Mario a décidé de lancer un programme de rachat d'obligations (autrement dit, la BCE rachète officiellement la dette des États en difficultés), pour un montant illimité, et en se contentant pour le moment des bons à échéance courte de trois ans. Il faut bien comprendre qu'il s'agit d'une jolie performance de Mario puisqu'il a réussi à faire avaler aux Allemands, pas très champ' & putes (qu'ils sont coincés, ces Teutons !), que cette maturité relativement courte permettrait de mieux encadrer la création monétaire dans le temps. Mieux, la BCE a, dans la foulée, également renoncé à son statut de créancier privilégié pour ces achats d'obligations, ce qui veut dire qu'elle accepterait de n'être jamais remboursée de ses créances en cas de défaut. Qui n'arrive jamais, soyez en sûr.

Vu comme ça, c'est un véritable appeau à dette de courte maturité que Draghi a fait glouglouter dans la brousse sauvage de la finance étatique. On peut parier que les pays concernés (ici, l'Espagne et l'Italie) vont prestement (et discrètement) favoriser la dette de court terme, directement branchée sur le robinet de la banque central. Et c'est logique : puisque l'Epson Stylus tourne à plein régime, pourquoi se gêner ?

Pour faire bonne figure, Mario a tout de même assorti cette distribution de gâteries d'une mise en garde sur le mode "Le Changement, C'est Maintenant"™ puisque la BCE imposera une vraie rigueur budgétaire pour les pays faisant la demande. Si si. Vraie de vraie. C'est subtil, mais elle met donc en place un système d'ouverture en grand des robinets pour des pays vertueux (mais non, ce n'est pas paradoxal, voyons). Et dirige de façon ostentatoire tout ce système vertueux vers des pays dont la rigueur budgétaire est pour le moment tout sauf vertueuse.

Voilà qui donne une assez bonne idée de la crédibilité de l'ensemble de l'édifice mis en place, d'ailleurs applaudi chaudement par toute la clique bancaire et politicienne ("courtesy of crony capitalism").

Au passage, on a assisté à une véritable prise de pouvoir totalitaire, très discrète mais bien réelle, de la part de la BCE qui a, sur le papier en tout cas, le droit unilatéral de couper les finances d'un pays désobéissant à ses recommandations budgétaires. On en frémit quelques secondes, puis on s'interroge sur les moyens pratiques et concrets de rétorsion du Plombier de Francfort lorsque (je dis bien "lorsque" et non "si") des pays excrèteront de la dette comme jamais.

En effet, ou bien Mario montre ses muscles et met le pays fautif face à ses responsabilités, le mettant au bord du gouffre, voire carrément dedans, quitte à faire exploser la zone euro. On voit mal la BCE devenir l'artisan d'une telle fin en fanfare. Ou bien Mario constate les dérives, s'énerve, tance et mâche son frein sans, finalement, rien pouvoir faire.

Et pour couronner le tout déjà fort gratiné, on se retrouve dans la situation où, à la suite de cette annonce, les taux se sont détendus, ce qui incite donc les pays à continuer leurs politiques de non-austérité, et à absolument tout faire pour ne surtout pas sortir du bois et demander officiellement la moindre aide : autrement dit, maintenant que le robinet est ouvert, plus personne n'en veut sachant pertinemment que le moindre mouvement vers celui-ci sera sanctionné, non par la BCE ou le FMI, mais bien par tous les autres acteurs...

Tout ceci aboutit à une belle démonstration d'impuissance et de surplace qui risque de faire cruellement déchanter tout le petit monde de la finance actuellement dopé à l'espoiraïne : le premier qui bouge, BCE, FMI, marchés, pays membres ... a perdu. Bref, la conclusion est sans appel : Draghi n'a rien amélioré du tout.

Et au fait, à tous ceux qui suivent encore un peu les actualités et qui misaient naïvement sur une belle "supervision bancaire européenne", rassurez-vous : grâce à l'intervention politique à tous les niveaux, c'est au point mort.

Oui, définitivement, sur le plan financier, ce 6 septembre 2012 aura été une journée bien remplie. Pour ma part, j'ai continué à acheter de l'or. Je vous conseille d'en faire autant.


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