Les attentes peuvent être trompeuses. Samedi, deux films étaient inscrits à mon programme de l’Étrange Festival 2012, l’un que je guettais avec impatience, l’autre qui n’était pas loin de m’être inconnu. Le premier des deux ouvrait la journée, 14h30, l’heure où les spectateurs de l’étrange sont sur les starting blocks pour une journée de plus au Forum des Images. Salle 300, l’homme aux sacs plastiques avance toujours incognito pendant que l’homme au chronomètre scrute la salle à la recherche de visages familiers. Il y a du monde qui s’est déplacé pour « Motorway », un polar HK signé Soi Cheang.
L’attente suscitée par Motorway s’est avérée presque vaine. A l’excitation s’est assez rapidement substituée la déception. Annoncé comme une petite bombe, le film n’est pas loin de provoquer les bâillements, faute de réelle ambition. En suivant une paire de flics à la dynamique jeune/vieux qui sont préposés à la route, et leur course pour mettre la main sur deux truands qui filent à toute allure, Soi Cheang ne parvient pas à franchir le cadre de l’attendu. Certes les courses automobiles sont filmées avec un certain panache, mais le film peine à afficher de la substance. Il nous fait tous les vieux coups du film mentor/élève, avec un sérieux bien trop appuyé lorsqu’il s’agit d’enseigner à prendre des virages ultra serrés dans des ruelles à angles droits. C’est tout juste si l’on ne se croirait pas dans un Karaté Kid de la bagnole dans certaines scènes, sans la moindre malice.
On s’amuse, un peu, Anthony Wong affiche une mine bonhomme qui est loin de justifier que le présentateur du film l’ait proclamé « Meilleur acteur du monde » (hum… dans le genre film survendu en préambule, chapeau), et Josie Ho fait trois ou quatre apparitions fantomatiques (on la préférait dans « Dream Home »…). Le fait que les conditions de projection n’étaient pas optimales, avec des plans saccadés tout du long et des trous sonores épisodiques, n’ont rien arrangé. Motorway figurait aisément dans le Top 3 des films que j’attendais le plus lors de cet Étrange Festival, mais les chances que je l’oublie rapidement sont réelles. Tout le contraire de « Headhunters ».
Que dire ? J’aimerais tant en dire en même temps que rien du tout. Car s’il est une force qui caractérise Headhunters, c’est celle de balader le spectateur. De nous offrir un visage que le réalisateur va prendre un malin plaisir à déformer tout au long du récit, sans jamais nous laisser sur le bas-côté, nous entraînant toujours au plus près des personnages et de l’intrigue. Je ne peux rester muet au risque de ne pas faire naître l’étincelle de la curiosité. Le protagoniste, Roger, est chasseur de tête. Il est haut placé dans un cabinet de recrutement, a une grande maison, une femme magnifique, une vie proche de l’idéal. Mais Roger n’est pas que cela. Roger dérobe également des peintures à ses heures perdues.
C’est ainsi que l’on découvre Headhunters et son personnage principal, et ce point de départ que nous présente le réalisateur va vite être malmené, détourné, amplifié. Imaginez les ruelles de Hong Kong que nous fait parcourir à toute allure Motorway. C’est ainsi que l’on pourrait se représenter le scénario de Headhunters. Un dédale de possibilités, des routes qui se succèdent, chacune tranchant avec celle qui la précède. Un ballet narratif passionnant explorant tout le potentiel du film noir, arnaque, vol, manipulation, tromperies, méfiance, violence, mort. Avec une aisance insolente, le réalisateur pousse chaque pion de son scénario millimétré dans une direction inattendue, creusant toujours plus loin le sillon du retors, avec un savant dosage de réalisme et d’invraisemblable qui confère même au film un sens de l’humour délicieux.
Je ne sais pas ce que me réserve l’Étrange Festival dans les jours à venir, mais j’en suis désormais certain, j’ai bien fait de venir.