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La montagne couronnée (10)

Par Montaigne0860

Aux instants de répit, crépuscule de mars, nuits sans lune, une mer de sons cogne contre les portes de jadis, et du creux des vallons, j’écoute la rumeur des moissons passées et le flux des vents d’ouest auxquels s’ajoutent les appels des soldats, cris, borborygmes aux « a » assombris, plaintes et cris de joie. Au même titre qu’un auditorium, la cité remparée est un résonateur. De très loin, des sons ourdis clament au dehors ; la cathédrale est un haut parleur qui répercute ces échos montés vers le ciel, millions de prières, vœux, mercis ; mains jointes, les remparts pressent dans leurs paumes des syllabes qui n’aspirent qu’à s’emparer des hauteurs, valse grouillant de vocables latins et français, se berçant de l’espérance d’être écoutés par un dieu dont nous nous doutons aujourd’hui qu’il est sourd.

Ce château à ciel ouvert laisse pendre sur les pentes des entassements d’acacias déjà lourds de leurs bourgeons, un souffle fait gémir des branches croisées : le chef ardoisé (qui déchire des obliques au plus près des nuages) ouvre des questions sans réponses. Quelque part derrière moi un volet bat, rythme sans régularité, fruit du hasard. Il n’est aucune cause.

Froissement de tissu.

Toujours, dit la visiteuse, il a fallu remplir les hauteurs béantes, le regard aurait donné sur le vide et tu sais bien que c’est à peine supportable ; les gens n’ont pas le temps d’affronter ces grands espaces, ils ont déjà assez à faire avec leurs enclos, plantés de pieux, leurs jardins dévorés de l’ivraie et les marches et les tapis et les feux qui claquent au plein du bois qui se consume ; ils ont en mémoire l’odeur de la bure des moines, de la cire coulée des cierges, le son de leurs pas au parvis et le coulis des nuages au dessus de la tête, sans parler des pièces qu’on fait sonner au fond des sacs, pluies d’or parfois, plaies d’argent souvent, et la peur d’avoir faim durant des jours, des nuits, rien n’est jamais acquis.

Elle sourit.

Tu vois, on a bâti des histoires de résurrection à coups de pierres calcaires, pâleur appuyée sur le velours du vide, rien que pour l’essentiel, à savoir débarrasser l’homme sur sa terre de la terreur du ciel ; il sait ce que sont les champs, les femmes et les vaisseaux sur la vague, mais l’azur lui ne se touche pas et c’est donc là que niche forcément le principe salvateur dont leurs rides auront besoin. Ils ont appris ça dans l’enfance : c’est en levant les yeux vers le haut que la réponse vient, grave et bien timbrée.

Des gens comme toi, poursuit-elle en riant, oui, comme toi, des rêveurs, des perdus hors la vie, ont retourné comme un doigt de gant leur impuissance à vivre en un surplis d’inventions fabuleuses, légendes bancales sur les anges du ciel, la virginité de Marie et la résurrection d’un galiléen, et ils ont conçu plus tard des édifices (cathédrales) pour que l’affaire d’exister soit délestée du poids de vivre sous la loi du vide. Bluff sacré, les bœufs observent d’un rugissement muet les disputes en contrebas : au fait, je crois qu’ils rient, mais il ne faut pas le répéter, ces contes font tant de bien aux gens de peu.

- Dont je suis, dis-je.


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