Elle n'a toujours pas l'honneur d'une scène. Il faut avouer que le texte en demeure pour l'heure inachevé. Mais il se murmure que ses actes en seraient déjà couchés sur le papier, à l'exception d'un seul. Le scénario, s'il est permis ici d'en donner idée, nous mènerait d'un coup de gueule de Neptune aux swaps embrasés de la finance mondiale, en passant par les cendres de Fukushima powerplant.
Le tsunami d'abord. Mars 2011. Six réacteurs alignés sur une faille et l'hydre océane tapie tout près. Il noie puis brise les murs de béton et d'acier le plus sûr, stimulé qu'il est par la mégalomanie de l'édifice proposé à son appétit..Il faut remonter à mars 2008 pour trouver table ainsi ouverte au désastre.
Imaginez une mer d'anonymes états-uniens souhaitant accéder à la propriété. Les choses étant ce qu'elles sont là-bas, les salaires se traînent loin derrière les espérances populaires. Les dirigeants des centrales de prêts flairent du bel et bon argent à engranger sur de fades espérances. Pour transformer des poches vides en dollar actif, il suffit d'un prêt. Et la machine à vendre du rêve avec du vent démarre. Des millions de particuliers sautent dans le train, achètent le droit de se précipiter toujours plus avant sur la voie consumériste. On les fait tourner toujours plus vite, creuser le trou au fond des poches.
Vient un moment où toutes ces quidam et leurs désirs élémentaires ne résistent plus à la gravité. On ne peut inventer un remboursement quand il n'y a plus aucune solvabilité, on ne peut stopper la divergence quand on ne peut plus arroser.
La crise a précipité les actifs dans la zone toxique, particules financières soudain agglomérées et activées par un réel qui n'en pouvait plus. Des millions de gens réels contraints et forcés d'abandonner d'illusoires possessions. Leurs dettes basculées dans l'inerte viennent corroder les actifs des grandes banques, attaquant leurs coffres sans relâche pour irradier alentour, et même les vautours qui n'en peuvent mais. Toute la chaîne énergétique de la finance s'en voit fissurée. L'édifice branle et menace ruine, déstabilisant l'architecture économique tout entière et les populations qu'elle irrigue.
Ah, combien il fut aisé de marcher la tête haute vers la catastrophe ! Combien il fut facile d'abuser contrôles et contrôleurs, ignorer les alarmes ! Serait-il plaisant de marcher encore vers le désastre quand on est le mieux placé pour contempler son émergence ? Quelque chose de tragique s'est peut-être joué dans cet effondrement annoncé sotto voce, indépendamment de la cupidité forcenée. L'homme mû par des forces qu'il ignore souvent a levé des puissances qui l'ont sans doute dépassé. Une possible coloration shakespearienne qui ne pourra consoler les populations frappées en toute inconscience par le choc.
Une première explosion est venu déchirer le ciel tout bleu, secouer l'édifice boursier, entraînant la destruction de l'énorme réacteur des Lehman brothers. Fin du rêve, fin des projections en technicolor, retour de la finance à sa nudité biface, rapace d'un côté, ruine de l'autre.
Depuis cette déflagration inaugurale, cet éclatant retour en force du danger, les actifs irradiés continuent à saper la machine implosée. Leur pernicieuse puissance contamine lentement mais sûrement les bourses du monde entier et l'économie globale adossée au grand moteur financier en panne, qui nous promettait bien-être par son universelle et complexe technologie. Peu à peu, les autorités, les institutions, les entreprises se rendent à l'idée qu'il n'y aura pas de retour en arrière. Ce qui n'incite nullement la contamination à décroître. Elle frappe à coups redoublés, en commençant par les plus faibles qui sombrent dans une misère dont le compte en négatif est tout à fait calculable, même s'il ne se chiffre pas en Sievert.
On se bat, dit-on. A la manœuvre pour les contre-mesures, la BCE, la FED et autres opérateurs aussi lents, maladroits et inopérants que le furent ceux de Fukushima Daiichi. Les gouvernements, comme le fit le gouvernement japonais, tentent de minimiser la crise, de parier sur leurs gris-gris financiers et des prédictions qu'ils voudraient auto-réalisatrices. Les autorités, déboussolées, résignées, déversent dans l'abime notre bel argent dont le papier se désagrège avant même de sombrer dans le gouffre. La contamination planétaire n'en a que faire. Les bourses implosent, les économies s'effondrent et on songe à exfiltrer des pays hors de la zone des turbulences, comme le furent les populations autour de la centrale de Fukushima.
Le corium persiste, à l'image des organismes vivants il tend à se renforcer en son être. Ce cœur financier pourri fusionne, fissionne de plus belle, on ne sait vraiment, dans les confinement blindés des coffres de banques. Les capitalisations fondent, les économies et les indices capitulent, les peuples sont mis à la diète, à charge pour eux de trouver dans le jeûne la vigueur et le secret pour continuer à consommer. Bien niché dans l'ombre, prospérant du fait qu'on n'ose réellement le regarder, mesurer son horreur, le cœur incandescent prospère encore.
Trop immense, trop destructeur pour que ceux qui en ont, peut-être, le pouvoir, l'affrontent, il pulvérise les va-t-en guerre, les promesses et les rigueurs contre lui adossées. L'opérateur déversa et déverse encore des milliards de litres d'eau pour calmer l'ardeur des particules en folie à Fukushima. Les décideurs ne savent que lancer à la bête financière des milliards d'euros qui se voient digérés au plus vite. Les tentatives de cantonnement contre la dissolution générale des actifs hors-valeur ne résistent pas à la dissolution.
Le corium euro-actif s'enfonce dans nos économies. Il perce à cœur les défenses, sape les résistances et mine les espérances. La masse monétaire à lui offerte de par le monde, ni ne l'affaiblit, ni ne le calme. Dans son sillage l'arrêt, la stagnation puis la régression programmées non seulement des niveaux de vie, mais des démocraties, tant l'état d'urgence aujourd'hui permanent où nous nous trouvons incline les responsables à imposer leurs décisions plutôt qu'à laisser les peuples choisir leurs solutions.
Dans les allées dévastées de Fukushima et les circuits nocturnes de la finance, il reste à écrire le dernier acte. La permanence de la règle des trois unités est notre seule certitude. L'évidente profusion d'acteurs de talent, notre seul arme.