L’amour commence en hiver, de Simon Van Booy

Publié le 07 septembre 2012 par Artetregards

Le temps d’une promenade nocturne, un musicien ressasse de douloureux souvenirs. L’amour commence en hiver, première nouvelle traduite en français de Simon Van Booy, mêle habilement scènes du quotidien et considérations existentielles.

“La musique n’est mystérieuse que pour les gens qui réclament une explication. Musique et amour: aucune différence.” Bruno Bonnet, violoncelliste français de renom, arpente les rues de Québec, un soir, tout en laissant vagabonder son esprit. Il compare les sons qui s’échappent de son instrument aux sentiments naissants et les mélodies entêtantes aux souvenirs obsédants. Il pense à ses parents, scotchés devant un écran de télévision à des milliers de kilomètres de là, et à son frère, vendeur d’automobiles richissime et séducteur. Mais il est surtout hanté par le souvenir d’une petite fille de son village, décédée il y a plus de vingt ans, dont il ne parvient pas à faire le deuil.

L’univers mélancolique de Simon Van Booy se compose de détails en apparence insignifiants, tels l’odeur d’un violoncelle usé ou la rencontre accidentelle, dans un parc, entre un homme et une femme. Des vies s’entrecroisent, des amours naissent. De ce point de vue, le jeune écrivain britannique est à la littérature ce que Christophe Honoré est au cinéma. Il évince délibérément les sujets de société, s’affranchit de toute réflexion politique, ancre ses personnages dans un espace-temps indéterminé – Etats-Unis, France, Canada, qu’importe. Seuls comptent les sentiments et les souvenirs, étouffants. Obnubilé par une image de son passé (un vélo abandonné sur la chaussée, la roue arrière tournant désespérément dans le vide), Bruno ne retrouvera sa liberté qu’au contact d’Hannah, elle aussi dévastée par la disparition d’un proche. L’amour se mêle à la mort et à la perte.

A la manière d’un peintre impressionniste, l’auteur décrit, par petites touches, le monde qui entoure ses personnages: passants égarés dans le labyrinthe des ruelles, immeubles endormis, lumière des phares balayant la ville, ronronnement des voitures. Ses phrases concises, régulières, saccadées, font songer à un enchaînement de notes jouées staccato. N’écrit-il pas que “la musique est l’ultime aspiration du langage”?

On pourrait bien sûr regretter que Simon Van Booy parsème son texte d’aphorismes qui semblent tout droit tirés de ses essais, Why we need love et Why we fight (“l’espoir et le plus beau des cadeaux”, “le chagrin est un pays où il pleut mais où rien ne pousse”…). Mais ces considérations assommantes n’affadissent pas pour autant sa nouvelle, douce élégie portée par une prose fluide et musicale. L’amour commence en hiver rappelle, comme disait Marguerite Duras, que “la passion reste en suspens dans le monde, prête à traverser les gens qui veulent bien se laisser traverser par elle”.

Les Bien-aimés de Christophe Honoré

L’amour commence en hiver de Simon Van Booy, éditions autrement, septembre 2012

Camille P.

Source : L’Express.fr