Titre original : Killer Joe
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : William Friedkin
Distribution : Matthew McConaughey, Emile Hirsch, Juno Temple, Thomas Haden Church, Gina Gershon, Marc Macaulay, Scott A. Martin, Gralen Bryant Banks, Danny Epper, Jeff Galpin…
Genre : Thriller/Drame/Adaptation
Date de sortie : 5 septembre 2012
Le Pitch :
Acculé de dettes, dont le non remboursement pourrait lui couter la vie, Chris, un jeune dealer, met en place un plan qui consiste à orchestrer le meurtre de sa mère, une femme ignoble avec qui il est en conflit depuis toujours. La mort de cette dernière qui lui permettrait de toucher les 50 000 dollars de l’assurance vie. Pour cela, il se rapproche de son père, qui approuve son projet. Les deux hommes font alors appel à Killer Joe, un flic qui arrondit ses fins de mois en jouant les tueurs à gages. Mais Joe a ses propres principes et son caractère est des plus instables…
La Critique :
Certains tentent durant toute leur carrière d’être subversifs. Être subversif, de nos jours, c’est quelque chose de cool, car cela permet de se démarquer de la masse. Mais il ne suffit pas de vouloir être subversif pour l’être vraiment. Un acharnement à vouloir fournir un spectacle burné peut parfois déboucher sur quelque chose de forcé et de creux. Les exemples sont nombreux.
William Friedkin est subversif et lui, il ne fait pas semblant. Friedkin, c’est le genre de gars qui n’hésite pas à tirer un coup de feu sans prévenir, à quelques centimètres de l’oreille de l’un de ses acteurs, pour l’obliger à de pas simuler la surprise (sur le tournage de L’Exorciste). Friedkin est l’un des grands francs tireurs du cinéma yankee et aujourd’hui, c’est l’un des seuls. En toute logique, son Killer Joe est un immense coup de pompe dans la fourmilière de la bien-séance et des idées préconçues.
Que la chose soit bien entendue : Friedkin pète le feu. Le réalisateur de L’Exorciste est en pleine forme, son dernier film le prouve. Après le traumatisant (dans le bon sens du terme) Bug, Friedkin réalise avec Killer Joe un film à la puissance évocatrice rare. De quoi faire oublier le relatif passage à vide des années 90, qui virent le nom de Friedkin accolé à des films un peu bancals, comme Blue Chips, Jade ou L’Enfer du devoir (sans être mauvais). Aujourd’hui, à 73 ans, celui qui offrit également au septième-art French Connection, tient la dragée haute à la jeune génération. Quand d’autres légendes vieillissantes préfèrent centrer leur propos autour de projets plus consensuels, Friedkin tient bon la barre, avec cet aplomb formidable. Peut-être une façon de lancer à la face de ses détracteurs : peu importe ce que vous pensez de moi, je fais ce que je veux et si ça fait mal c’est tant mieux !
En mettant en image le scénario que Tracy Letts a tiré de sa pièce éponyme (c’était déjà le cas pour Bug), Friedkin trouve une histoire parfaite pour exprimer pleinement son savoir-faire. Le réalisateur se met totalement au service de cette histoire qui, de toute façon, répond pleinement aux exigences de son cinéma. Contrairement à certains aspirants à la gloire subversive, Friedkin n’en fait jamais trop, ne force jamais le trait. Être lui-même suffit amplement à auréoler Killer Joe d’un parfum de souffre.
Les dialogues claquent comme des coups de boite de conserve dans la tronche (qui verra comprendra). La caméra de Friedkin se pose et organise des joutes tour à tour violentes, faussement puériles, décalées et malsaines, et tisse un canevas ultra burné qui sent bon la sueur, les larmes, le sang et la graisse. Dynamitage en règle de la cellule familiale, Killer Joe pénètre les arcanes du mode de vie redneck de personnages abimés et apparemment dénués d’une quelconque morale. L’ambiguïté règne.
En cela, Killer Joe n’a pas peur de mettre en scène des personnages antipathiques. Que l’on parle de Chris, le jeune dealer qui n’hésite pas à louer sa sœur à un tueur à gages, qu’il a embauché pour tuer sa mère ; de Ansel, ce père de famille plus ou moins analphabète, qui se laisse porter par le courant tout en faisant systématiquement les mauvais choix ; ou encore de Joe le Killer du titre, flic corrompu (le mot est faible) dangereux et aussi instable qu’un litron de nitro. Et il y aussi et surtout Dottie, le personnage central de cette valse qui ne va pas sans convoquer certains des fantômes les plus emblématiques de l’œuvre d’un Tennessee Williams ou d’un Jim Thompson. Dottie, c’est selon Friedkin, une sorte de Cendrillon trash. Une jeune fille en apparence naïve et perdue, qui incarne en début de métrage la pureté qui subsiste dans un marasme bien cradingue. Elle centralise peu à peu l’attention des autres protagonistes et se retrouve au centre de l’enjeu principal. Par le biais de cette apparente oie blanche, Friedkin appuie là où ça fait mal. Que ce soit avec Dottie donc, mais aussi avec Chris, le personnage incarné par Emile Hirsch qui, sous ses aspects de pauvre type prêt à tout pour payer ses dettes et sauver sa peau, cache peut-être une des consciences les plus louables de ce bestiaire impitoyable.
Killer Joe ballade le spectateur, envoie valser les conventions, dynamite les codes, choque et passionne. Le montage est tel qu’il est difficile de décrocher le regard de cette histoire, qui pourtant ne peut pas plaire à tout le monde. Ceux qui s’y retrouveront à coup sûr, ce sont les fans de Friedkin. Killer Joe est l’un de ses meilleurs longs-métrages.
Au cœur de ce tourbillon, les acteurs font des merveilles. Emile Hirsch trouve l’un de ses plus grands rôles, tout comme Thomas Haden Church, magnifique en looser sans foi ni loi. Juno Temple explose dans un rôle casse-gueule de lolita borderline manipulatrice et Gina Gershon trouve aussi une superbe occasion de briller. De quoi rendre la rareté de ses apparitions encore plus regrettable. Les mecs, réveillez-vous, Gina Gershon est l’une des plus grandes comédiennes américaines !
Friedkin tire le meilleur de tous ses acteurs. Formidable directeur de comédiens, il se moque du passif, parfois encombrant de ses derniers, et extirpe la moelle profonde de leur talent. C’est ce qui se passe avec Matthew McConaughey. McConaughey qui, depuis La Défense Lincoln, enchaine les performances. Il est où punaise, le type qui jouait dans Hanté par ses ex ? Il est où le playboy au sourire ultra brite ? Ce mec est grand. 2012 est son année ! McConaughey est Joe, le flic tueur, pervers, rageur, charmeur et glacial. Sorte de serpent à sonnette perfide, son Joe s’apparente à une figure mystique moderne, qui hante une tragédie amère. Brillant de chez brillant, McConaughey est flippant et drôle, dégoutant et charismatique. Il prend des risques, se donne à la vision de Freidkin et décroche le jackpot. Hourra !
Tous sont sur la même longueur d’onde. Les acteurs, le réalisateur, le scénariste, tout le monde. L’histoire est menée de mains de maitres. Elle commence sur les chapeaux de roues, ne prend jamais de raccourcis et se termine dans un déchainement incroyable de violence. Les 20 dernières minutes resteront à coup sûr dans la mémoire vive des cinéphiles. Impossible d’oublier ces images, alors que Friedkin resserre son étreinte.
Killer Joe parle de meurtre et de relations familiales. Il condamne la télévision qui est devenue omniprésente, le kung-fu en espace clos, et organise son dénouement autour d’une dégustation mémorable de poulet frit. C’est de l’Amérique dont on parle ici. Pas celle de Gossip Girl, mais celle d’en bas. Celle que la crise accable. Le propos est actuel et l’emballage a de la gueule. Dans le jargon, on appelle ça une monumentale claque ! Et puis c’est drôle ! On peut même dire que le film contient l’un des gags les plus drôles de l’année. Le rire est souvent jaune, mais c’est bel et bien le cas : Killer Joe fait marrer.
Autant dire que ce n’est pas souvent que l’on quitte une salle de cinéma après avoir été si puissamment secoué.
@ Gilles Rolland
Dédicace à Maximilien Poullein, acteur de talent (notamment dans Delirium Tremens) et ami d’On Rembobine.fr, pour qui ce film signifie beaucoup.
Crédits photos : Voltage Pictures