« A la folie » : comment pouvait-il en être autrement puis
l’événement présente exclusivement ce que pudiquement on appelle « art
brut » (théâtre brut, danse brute, cinéma brut …), quand d’autres lancent
(et pensent) « art des fous » ? Justement, en exergue de son
livre, Kérouanton place un extrait d’un texte de « Monsieur T. » dont
il révèle qu’il est « l’ombre portée de François Tosquelles (1910-1995),
psychiatre catalan, militant engagé, initiateur du mouvement
désaliéniste » :
« […] La qualité essentielle de l’homme c’est d’être fou.
Et tout le problème c’est de savoir comment il soigne sa folie.
Si vous n’étiez pas fou, comment voulez-vous que quelqu’un soit amoureux de
vous, pas même vous.
Et les fous que l’on met dans les asiles psychiatriques, c’est des types qui
ratent leur folie. L’essentiel de l’homme c’est de réussir sa folie. »
Dès l’entrée, le ton est donné, tressé tout au long de l’ouvrage, avec la
réflexion esthétique nécessaire face aux
propositions présentées dans le cadre du festival :
« Est-ce que c’est beau, est-ce que c’est laid ?
C’est laid.
Est-ce que tu es ému ?
Complètement. »
L’auteur reste sans complaisance, ni pour les spectacles ou installations
parcourus, ni pour les spectateurs, dont il s’amuse à dresser un portrait kaléidoscopique.
Tour à tour, il dessine « la déchirure de l’organisateur », « la
déchirure du spectateur », « la déchirure de la femme », celle
du journaliste, du voyageur, de l’hétéro, du nain de jardin (!), du
politique, s’appuyant à chaque fois sur des moments artistiques précis qu’il
évoque en filigrane.
Cela se lit d’une traite, et peut se relire par petites touches. Le style est léger,
avec tout le détachement nécessaire pour ce genre de thème, plombé chez
d’autres par le voyeurisme ou l’apitoiement. Ce serait compter sans le regard
amusé que Kérouanton porte sur sa galerie de spécimens, et sur sa connaissance
fine de l’art de parler d’un spectacle.
Le festival Art et déchirure
a lieu, depuis 1988, tous les deux ans à Rouen, au printemps.
Joël Kérouanton mène un travail d’écriture autour de la danse et dans les lieux
où l’art ne va pas forcément de soi (établissement psychiatrique, centre
social, lycée, foyer de vie).
[Floriane Gaber]
Joël Kérouanton, ça déchire à Rouen,
coll. Collectif psy, éditions Champ social, 2012, 11€