C’est la crise. Même Hollande en convient platement, qui n’y voyait pourtant pas une bonne raison pour Sarkozy de patiner dans la semoule pendant cinq ans. Et comme dans toute crise, il y a des victimes, nombreuses, et des sacrifices à faire, douloureux. C’est donc de sacrifice que nous allons parler.
Et je ne parle pas ici d’éliminer drastiquement la confiture du petit-déjeuner. Non. Je veux bien sûr parler d’un de ces sacrifices cruciaux qui posent les bases d’un exemple citoyen décisif pour montrer à tous où les efforts doivent peser. Je veux parler d’une de ces démonstrations poignantes, mélange de courage d’airain et de lucidité qui amènent l’Humanité à se dépasser elle-même.
Et pour illustrer ce type de sacrifice-là, je prendrais Jean-Noël Tronc. Retenez bien le nom de ce héros moderne : on le retrouvera certainement dans les prochaines éditions des livres d’Histoire de France à l’usage des écoliers et autres légumes petits apprenants de notre système d’éducation que le monde nous envie de loin.
Il est grand, Jean-Noël Tronc. Par la taille, notamment. Celle de son salaire, en particulier. Jean-Noël est le nouveau patron de la SACEM. Nouveau parce qu’il est arrivé dans la place depuis quelques mois seulement, et a réussi à se faire un nom très vite en refusant de plier au dictat du lobbyisme habituel à ce genre de poste : on se souvient en effet qu’il s’était déclaré franchement pas pour le projet à la mode en matière culturelle, à savoir la création d’un nouveau Centre National de la Musique, au prétexte que cette nouveauté revenait à créer une administration supplémentaire et tout ce qui s’y rattache.
À l’époque, j’avais commenté son positionnement en remarquant que, décidément, le nouvel arrivant n’était pas très bisou : l’impétrant refusait d’adouber de son accord l’ouverture du robinet d’argent gratuit du ministère de la Culture.
Las, cette parcimonie dans la dépense de fonds publics ne devait pas grand-chose à un souci d’économie de la part du nouveau patron de la SACEM, mais bien plus à un petit jeu politique dont nous découvrirons probablement les tenants et les aboutissants dans quelques mois ou quelques années. En effet, son souci affiché de ne pas gréver inutilement les finances publiques s’arrête net lorsqu’il s’agit de sa propre société.
On apprend en effet au détour d’un article de Capital que notre aimable président est payé … 400.000€ par an. Oh, ne vous affolez pas trop vite. Après tout, ce bon salaire représente déjà la maigre pitance qu’il reste à notre héros dévoué après une réduction drastique puisque son prédécesseur, Bernard Miyet (ancien de l’ENA – surprenant, non ?), était payé 750.000 euros par an. On souhaiterait franchement voir une baisse relative identique appliquée à nos députés, ministres et autres multiples présidents de commissions, administrations et autres institutions publiques que la République, bonne fille, compte par centaines.
Maintenant, pour une société qui, comme toutes les autres, s’inscrit dans une période difficile de son histoire avec de la crise, de la restructuration et des réductions d’effectifs et de budgets, on comprend que ce niveau de salaire (couplé à des avantages salariaux nombreux) passe mal, d’autant qu’il s’inscrit dans des frais de gestion monstrueux de plus de 20% des recettes. On m’objectera facilement que cette société est de droit privé et qu’elle peut organiser sa gestion et ses salaires comme bon lui semble. Certes. Il n’en reste pas moins que cette société est assise sur une rente de situation, un monopole, qui, lui, doit tout à l’État, et donne cette société des latitudes certaines pour ignorer la conjoncture.
Or, cette attitude pourrait bien changer. En effet, d’un côté, internet a nettement grignoté les entrées d’argent correspondantes au droit d’auteur. Les CD se vendent moins et il devient plus difficile de traquer les droits dans le monde numérique.
À cette érosion, il faut ajouter la fin programmée et inéluctable du monopole actuel du recouvrement de ces droits sur le territoire français. La Commission européenne entend en effet ouvrir ce recouvrement à la concurrence étrangère ; autrement dit, un auteur français pourra demander à une société italienne ou belge de collecter ses droits en France, mettant de fait la SACEM en concurrence. Dans ces conditions, l’opulence actuelle des 1400 salariés de la société d’auteurs risque d’être franchement remise en cause.
Surtout qu’en plus, la Cour de Justice européenne a, récemment, jugé que la perception d’une partie des droits correspondants à la diffusion de radio dans les cabinets et salles d’attentes de certaines professions libérales n’étaient pas légale. Zut et flûte, n’est-ce pas ?
Devant ces éléments, on renifle ici tous les ingrédients nécessaire à une magnifique crise d’un secteur, assis sur une rente depuis des dizaines d’années, et qui aura soigneusement refusé toute modernisation et préparation à un changement de plus en plus vaste de son écosystème.
Pour le moment, Jean-Noël Tronc est donc le héros modérément discret de cette SACEM qui aura « réduit » son salaire et franchement hésité pour la création du CNM. Sera-t-il le héros qui réformera complètement cette institution pour la faire sortir du racket pur et simple dans lequel elle s’est installée ? Saura-t-il faire revenir la société des auteurs vers une société à leur service et non au service de son personnel, grassement payé ? Y aura-t-il des frites ce midi à la cantoche ?
Quand on voit la façon dont tout le domaine culturel s’organise actuellement, presqu’entièrement centré sur l’action omniprésente de l’État, le lobbying et la tétée continuelle de subventions, le tout afin d’éviter scrupuleusement toute remise en cause de modèles économiques gravés dans un marbre déjà séculaire, (et un bonus pour ceux qui pensent ici au Majors, à HADOPI et autres institutions rigolotes d’espionnage de l’internaute) on se doute que tout changement dans la vénérable SACEM sera inévitablement une révolution.
Ou qu’il n’aura pas lieu.