La bombe atomique que Mario Draghi a lancé aujourd’hui va-t-elle exploser et nous pulvériser ou jouera-t-elle son rôle de dissuasion ?
Par Thibault Doidy de Kerguelen.
Mario Draghi - président de la BCE
Une fois encore, les lecteurs de mes chroniques étaient informés depuis le 6 août (il y a pile un mois) de ce que préparait Mario Draghi. L’achat massif de dette pourrie est lancé. L’opération s’appellera OMT pour « Outright Monetary transaction ».
- Ligne ouverte pour acheter les obligations des États en difficulté, sans plafond.
- Achats passant par le FESF, c’est à dire accepter les conditions drastiques imposées en cas d’appel à l’aide.
Deux points dans l’annonce d’hier que nous n’avions pas précisé.
Le premier, c’est que Mario Draghi a limité l’intervention de la BCE aux obligations qui ont une maturité inférieure à trois ans alors que ses précédentes interventions se focalisaient plutôt sur de la dette à long terme. C’est, dans l’esprit des interventionnistes, une manière d’espérer limiter les risques. Si un pays, bien qu’ayant fait appel au FESF et bien qu’ayant accepté les mesures d’austérité que celui-ci impose, ne respectait pas ses engagements en matière de réformes ou de déficit, la BCE pourrait cesser ses opérations de soutien et s’en tirer sans trop de dommage, n’ayant pas dans son bilan des obligations à long terme ne valant plus rien. Autre avantage, nous savons, pour l’avoir vécu avec la Grèce, que la hantise de la BCE s’appelle « restructuration ». Elle ne peut pas se permettre d’abandon de créance. Or, justement, les titres à court terme échappent aux restructurations de la dette.
Le second, ce sont les critères « déclencheurs » de l’opération de rachat massif. Or là, notre ami Mario est resté dans le flou. À quel moment, à partir de quel écart entre les taux de référence (allemands ?) et ceux du pays concerné va-t-il appuyé sur la détente ? Le mystère reste entier. Mais comme la machine ne peut se mettre en route qu’à partir du moment où le pays concerné en fait la demande, on peut estimer qu’il n’y aura pas un fou dans la zone euro pour se mettre sous les fourches caudines du FESF si la situation ne l’exige pas.
Que penser de cette décision ? À vrai dire, je ne change pas un mot de l’appréciation que j’en faisais il y a un mois. Certains commentateurs comparent cette décision à une bombe atomique. Ils expliquent que désormais les marchés n’ont plus aucun intérêt à spéculer sur une dette d’un pays en difficulté, parce que Super Mario interviendra et raflera tout. Moi, je pense que cette comparaison avec la bombe atomique a un fond de vérité. Cette opération ne marchera que si… elle n’a pas à fonctionner. C’est comme la menace nucléaire. Elle ne fonctionne que tant qu’on ne s’en sert pas. SI par malheur on est amené à s’en servir, c’est la moitié de la planète qui saute. Avec l’OMT, si Super Mario appuie sur le bouton, les conséquences peuvent être terribles. Terribles les sommes colossales qui sont en jeu. Terrible la tête du bilan de la BCE plombé avec 1000 milliards de dettes pourries supplémentaires. Terribles les politiques d’austérités qui seront imposées aux pays qui feront appel au parapluie de l’OMT. Nous n’avons pas vu pour l’instant que les mesures imposées par le FESF et les troïkas successives permettaient effectivement aux pays de se sortir de l’ornière dans laquelle ils s’étaient enfoncées. Terrible enfin le monceau de dettes qui sera accumulé.
Car au bout du bout, ces dettes, il faudra les payer. Et là, deux hypothèses. Soit l’Euro sauve sa peau et je reviens à ma conviction que seule l’hyperinflation permettra d’éponger, soit l’Euro explose (ce qui est toujours possible car rien ne dit que les États joueront le jeu de l’austérité ou réussiront, même en jouant le jeu, à rétablir leur situation) et là, il faudra dissoudre la BCE et… payer le passif ! Sauf que dans ce cas, le passif sera commun, c’est-à-dire que tous les pays paieront même ceux qui n’auront pas fait appel à l’OMT. Autrement dit, que ce soit par l’inflation ou par la dissolution de la BCE, ce sont tous les pays de la zone Euro qui paieront pour ceux qui sont ou seront en difficulté. Quelque part Hollande a ce qu’il voulait, faire payer les dettes du sud par les pays du nord.
De tout cela nos gouvernants sont ils conscients ou inconscients ? Sans sombrer dans la paranoïa ou la théorie du complot, je me demande sincèrement si certains « jusqu’au boutistes » ne font pas exprès de mettre l’Europe dans une situation telle qu’ils puissent ensuite présenter leur projet fédéraliste comme le seul recours. Gageons que nous allons les entendre nous expliquer que face à la solidarité désormais imposée des dettes, il FAUT que s’impose à tous les mêmes règles budgétaires et la même rigueur de gestion, que cela ne peut se faire que par le biais de l’Europe fédérale et qu’il y a urgence à accélérer la marche vers l’adoption du pacte budgétaire européen, du traité de stabilité, de la coordination et la gouvernance (TSCG) signé en février dernier. D’ailleurs, comme nous l’évoquons dans un article précédent, les structures de contrôle des banques se mettent en place. Il ne manque plus que le contrôle des budgets. Aucun doute à mes yeux que le risque « nucléaire » sera utilisé comme une façon d’imposer le fédéralisme par la peur de l’explosion.
Pour ceux qui en ont le courage, l’intégralité de la conférence de presse de Mario Draghi est en ligne sur MVMA TV (3 vidéos).
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