Il convient ici de faire une distinction. Pour bien comprendre la créativité qui nous habite, je vous propose de partager une de mes convictions.
La différence entre les créateurs et les créatifs est pour moi un des préalables à la compréhension de qui nous sommes, de comment nous fonctionnons et du comment se développer.
Le créateur est de mon point de vue la personne qui a une idée et qui la réalise.
C’est aussi celui qui est capable de porter l’idée d’une autre personne et de la concrétiser.
Le créatif, pour moi, est quelqu’un qui a des idées, mais bien souvent seulement des idées. Il les ébauche, les effleure, les caresse, les projette, les explique, mais il n’est pas forcément dans leur réalisation de A à Z. Il s’arrêtera avant la fin, parfois pour repartir sur des idées nouvelles ou simplement content de son idée.
Imaginons deux personnes assises sur le bord de leur balcon. L’une et l’autre imaginent un décor en bois avec des formes, des couleurs, une certaine dimension, un certain confort. L’une va se renseigner sur les matériaux, les possibilités, le prix, le faire ou le faire faire. Elle va apprendre, rencontrer, questionner, échanger, confronter. En final, elle pourra faire un choix, renoncer, sous-traiter, ou le faire elle-même en y trouvant du plaisir.
L’autre se dit que se serait sympa, joli, elle en fait les plans, le dessine, l’accroche au-dessus de son bureau. Elle reste dans son rêve. L’une passe à l’action, l’autre reste dans son imagination. L’une est un créateur, l’autre est créatif.
L’une a pratiqué les bases de la créativité et à se titre elle entretien ses facultés de créativité, l’autre n’entretient que ses facultés d’imagination.
Toutes les deux ont défini un projet et seulement l’une des deux personnes construit son projet ou s’implique dedans.
L’un des principes de base pour être créateur est la rencontre, la confrontation, le questionnement suivi de l’action cohérente avec le projet.
La rencontre et la confrontation renforcent, enrichissent les convictions, font grandir les personnes.
Selon Socrate la confrontation, la rencontre avec l’autre est l’art de l’idéation.
N’en est-il pas ainsi quand on parle d’amour ?
Il y a ceux qui rencontrent l’autre et ceux qui rêvent qu’un jour, ils rencontreront l’autre idéal !
Comme disait l’un de mes maîtres et mentors, Claude Roederer, lorsque je préparai mon concours d’entrée à l’école Camondo à Paris : « Entre le créateur et le créatif, il y a la même différence qu’entre la branlette et la copulation… »
Vivre l’amour avec l’autre ou vivre l’amour d’entreprendre, c’est faire l’amour, passer à l’action, oser, avec toutes les émotions que cela implique, s’inscrire dans la durée, partager une ambition.
C’est choisir ces émotions.
Ceux qui sont prêts à prendre le risque et ceux qui passent leur temps à analyser, calculer, pour maîtriser, pour dominer, pour éviter la souffrance éventuelle d’un échec.
Mais n’y-a-t-il pas souffrance lorsque, avec le temps, on finit par s’apercevoir que nous n’avons pas osé, que nous sommes passés à côté de nos rêves et de nos ambitions ?
Certes dans le premier cas nous pourrions éventuellement être confrontés à la réalité, à une souffrance concrète en cas d’échec et dans le deuxième nous pourrons toujours nous raconter une histoire pour endormir notre souffrance, avoir raison au nom de notre ego centré sur nous-mêmes au lieu d’être centré sur nos aspirations les plus sincères.
Parmi les êtres humains, beaucoup rêvent d’un avenir à leur mesure, d’un amour idéal.
Combien ont osé se confronter à eux-même, se confronter à l’autre ou confronter leur rêve ?
Un musicien est confronté à la technicité de la partition, du solfège, de l’instrument pour en final se confronter à son public.
Un peintre devra également savoir manier les produits, les couleurs, les pinceaux, la toile et accoucher de son imagination. Le tout est confrontant et confronté avec des sanctions positives comme négatives.
L’entreprise, dont les activités reposent à l’origine sur une idée, une vision, un projet, une mission, doit se confronter à la réalité des procédures, à la logique de la finance, aux besoins de ses clients. L’ensemble de la production sera confronté aux réalités du marché. De cet ensemble, si l’échange et la confrontation sont menés positivement, si l’écoute, l’acceptation, la compréhension, l’humilité sont des compétences présentes, alors naîtront d’autres idées qui viendront enrichir les hommes, les femmes et donc l’entreprise et le travail.
La confrontation est nécessaire pour être en créativité.
La confrontation fait parfois appel à l’humilité, à l’acceptation des différences, à l’échange, à la logique de la rencontre. C’est l’acceptation, la capacité à s’évaluer, parfois élu, parfois rejeté.
C’est oser confronter ce que nous sommes, ce que nous savons, ce que nous faisons, se confronter à la réalité et à notre propre réalité.
Dans cette approche, il y des créateurs qui confrontent, se confrontent et construisent et des créatifs qui au sein de ces projets, de ses métiers produisent des idées et laissent ou non le soin à d’autres de les matérialiser. Chacun a sa place, elle est respectable.
L’histoire est pleine d’exemples qui illustrent mes propos. Combien d’entre nous ont retrouvé dans leur grenier ou leur cave, des tableaux, des inventions, des poésies, des recherches parfois géniales faites par nos aînés ? Combien d’idées circulent à travers le monde qui ne seront jamais réalisées ?
Combien d’entreprises fondées avec des idées géniales se sont véritablement construites avec d’autres dirigeants que les créateurs du début ?
Combien de brevets et d’inventions, d’idées sont exploitées par des créateurs, des gestionnaires sans relation avec les inventeurs ?
Combien de fois nous sommes nous levés le matin ou couchés le soir avec la tête pleine d’idées qui ne verront jamais le jour !
Combien d’histoire d’amour racontées par certaines personnes qui n’ont pas osées transgresser certains scénarios, certains faux interdits, qui n’en finissait pas de poser des conditions, de réfléchir…
Que cela soit en amour comme dans la vie, seuls ceux qui osent la confrontation finissent par connaître la réussite.
Ma synthèse est poétique, elle tient dans ce texte,
J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »
Alfred De Musset
Et vous ? Vivez-vous, êtes-vous vivants ?
© Didier Reinach – Avril 2007 – Dépôt SARTEC 21897 – extrait de Créer publié en 2007