On devra certainement faire face de plus en plus souvent à des portraits de romanciers en vieillards. L’allongement de la vie en est responsable. Celui que nous offre Alexakis dont j’avais tellement aimé plusieurs des romans précédents (le premier mot et Après JC) nous parvient après un accident vasculaire survenu dans le sud de la France. La récupération de ses jambes lui a valu de séjourner pendant quelques semaines dans un hôtel du Quartier Latin, plus facile d’accès qu’un appartement situé au 5eme étage.
Polyphème. Fontaine Médicis. Jardin du Luxembourg
Et ce séjour, raconté dans l’onirisme d’une enfance retrouvée, nous rapporte une exploration fabuleuse du Jardin du Luxembourg, de son théâtre de marionnettes et des personnages vivants ou fantomatiques qui en fréquentent les allées, y compris les augustes sénateurs voisins. Il ne s’agit pas d’une leçon de vie à partager, comme celle de J.B. Pontalis. Alexakis est un égoïste assumé qui ne partage ses émotions que pour séduire et briller, surtout auprès des femmes, mais d’une leçon d’humour tendre et d’un exercice littéraire partagé, en vrai grandeur au rythme des bouffées d’une pipe indispensable.
Galatée dans les bras d'Acis. Fontaine Médicis. Jardin du Luxembourg
L’enfant grec qui redécouvre les souvenirs du jardin de son enfance au contact d’une enfance qui l’entoure de nouveau, est aussi ce vieillard désemparé devant le sort de son pays et de celui de ses amis qui y vivent encore. Leçon de vie, leçon de survie et leçon d’éternité de la Grèce. C’est donc de philosophie pratique dont il est question.
Rien ne va plus, le monde marche sur la tête, Alexakis marche grâce à des béquilles et les marionnettes qui n’ont pas de pieds vont prendre le pouvoir.
Ce roman est un vrai plaisir en même temps qu’une récréation, comme on en tirait tous les plaisirs dans les cours d’école, entre deux leçons de grammaire. Pour un parisien, c’est de plus une sorte de paquet de gâteaux où les millefeuilles voisinent les baklavas…un délice de gourmandises.
Avec un si beau livre, ivre du plaisir de vivre, même si l’époque est troublée, on doit laisser lire sans plus de commentaires et même recommander de se précipiter chez le libraire.
Il suffit simplement de citer des formes de bonheur et de malheurs en compagnie de Don Quichotte, Ulysse, Gnafron, D’Artagnan, Guignol, Superman, Michel Strogoff...et Marie de Médicis.
« Les jours de grand vent la remise devenait le poste de pilotage d’un vaisseau, dont les acacias figuraient les mâts et les vêtements que faisait sécher ma mère sur une corde les voiles…Sur quel océan voguions-nous ? Nous ne le savions pas, nos instruments de navigation ayant été mystérieusement déréglés. Nous croisions périodiquement la trière d’Ulysse mais nous ne prenions pas la peine de lui demander notre chemin car il avait l’air aussi perdu que nous. Parfois, comme Christophe Colomb, nous accostions sur un autre continent que celui que nous comptions atteindre. Nous avions de plus en plus faim. Ai-je dit que mon père avait aménagé un poulailler dans le jardin ? Nous avions mangé toutes les poules. »
« Georges Azur, le plus jeune et le plus célèbre résistant grec contre le régime nazi, est aujourd’hui un vieil homme. Il habite un modeste deux-pièces près de la place de la Constitution, qui est située en face du parlement. Depuis que sa maigre pension a été réduite de 20 pour cent, il n’allume plus le chauffage. Il songe que si la Grèce se trouvait au nord de l’Europe, il serait probablement mort de froid…Il y a encore peu, la plupart des malheureux qu’il croisait étaient des étrangers venus d’Albanie, d’Europe centrale, d’Afrique du Nord, d’Asie. Désormais, ils parlent grec : il est impossible de faire semblant de ne pas les comprendre. « Nous sommes devenus des immigrés dans notre propre pays », pense-t-il. Il a entendu ce mot terrible au marché de son quartier prononcé par un homme qui récupérait des oranges tombées par terre : la Grèce ne nous aime plus. »
L'enfant grec. Vassilis Alexakis. Stock. 2012