Yon Costes, le peintre martial

Publié le 06 septembre 2012 par Ivan

Si les pratiquants sont nombreux à suivre la ou les voies martiales, peu d’entre eux sont capables de suivre la double voie de l’art martial et du pinceau. C’est le cas de Yon Costes que je connais depuis des années. Pratiquant jusqu’à cinq arts martiaux à la fois, ce fou de la Voie est également un artiste accompli à découvrir d’urgence, si ce n’est pas déjà fait.

Voici quelques années, à travers les cours de Masato Matsuura, je rencontrais Yon. Il venait de Lille et on croisait les deux sabres qui étaient dans nos deux mains, ce qui en fait quatre en tout si vous suivez mon histoire. Bref un gros paquet de bokken nous séparaient. C’est comme cela que j’ai sympathisé avec Yon. Les cheveux courts, le corps maigre et sec, j’étais surpris par sa pugnacité et un petit côté « plutôt mourir que de lâcher prise » qui m’a tout de suite plu. Pendant quelques années nous avons ainsi fait vibrer quelques tatamis et sols en parquet, avec pas mal de sueur et quelques coups sur les doigts.

Ce n’est que plus tard que j’ai appris à connaître davantage Yon que je croisais de plus en plus sur ma route, et je découvrais notamment la dimension artistique qui l’habite. Ce fut tout d’abord en lisant et admirant le livre Mitori Geiko, sur le travail Jaff Raji que je pris conscience de ses qualités artistiques. Mais un an plus tard, en allant un jour voir une exposition qui lui était dédié à Bruxelles, je pris d’un seul coup conscience qu’avant de faire des livres Yon est surtout un artiste peintre de talent. Et l’inspiration asiatique de certains tableaux me plut car elle reflétait un vécu martial intense. En guise de défi, je lui commandais un cercle non fermé, représentant l’infini de l’énergie dans la plus pure tradition zen japonaise. Non seulement le tableau est une merveille, mais de plus il a su exprimer l’énergie qui se dégage du mouvement par une sorte de vapeur montante. Depuis j’ai le plaisir de le regarder tous les jours.

"Cercle infini d'énergie"

Pour comprendre le tour de force de cette œuvre, il faut connaître le passé de Yon, notamment son parcours martial. En 1989 à l’âge de 8 ans, il commence à le qwankido dans l’un des premiers clubs de cette discipline en Bretagne. Pendant 10 ans il s’entraîne très sérieusement et remporte un certain nombre de compétitions, dont une nationale. Cela se fait d’entrée de jeu avec en parallèle des cours de dessin dès 1987. Avec 7 heures de dessin et 8 heures de qwankido hebdomadaire, ces deux arts grandissent en lui et s’emmêlent, année après année.

A son arrivé à la faculté en 2000, il arrête la pratique martiale et se consacre à la lecture des classiques chinois, le Daodejing (le livre du Tao) de Lao Tseu en tête. Incapable de en rien faire de son corps, il commence la musculation et ira jusqu’à 16 heures de salle par semaine. Là il se forge un corps sec et musclé qui l’accompagne toujours. Finalement, il retourne au qwankido sous la direction d’Hervé Tissié, sacré champion du monde en combat. Il est alors entraineur de l’équipe de France et Yon le suit pendant 4 ans et demi. On imagine aisément l’intensité et la fréquence des entraînements. On pourrait penser que cela lui aurait suffi. Mais on est loin du compte.

Yon Costes dans son atelier de Lille

Grâce à ses lectures, Yon fait deux rencontres. Tout d’abord l’œuvre romanesque de Yoshikawa (La pierre et le sabre) et sa suite logique, le Gorin nosho de Myamoto Musashi. Pour suivre le principe des cinq éléments à sa façon, il décide de pratiquer cinq arts martiaux en même temps, rien que ça ! Outre le qwankido, il ajoute à sa palette l’aïkido, le kungfu, le iaïdo et le taïchichuan. A cette occasion, il rencontre Jaff Raji à Rennes, ville dans laquelle il suit des études universitaires d’arts plastiques. Le travail avec Jaff Raji est d’une intensité bien connue dans le monde de l’aïkido et du iaïdo et Yon va le suivre passionnément dans son dojo pendant plusieurs années. Au cours de ses études, il découvre aussi les œuvres des maîtres de peinture et finalement ose aborder ce qu’il a toujours rêvé de faire : la calligraphie. Pendant 3 ans, il dessine des traits et des cercles, ou copie assidument le Daodejing, seul chez lui.

"Montagnes"

2004 est une année clé dans l’œuvre de Yon. Le voilà en 4ème année d’arts plastique, année de son master, et doit monter un projet de fin d’année. Il décide d’allier peinture et danse, de préférence de la danse inspirée par le travail martial. Son œuvre du « Trait à la sphère » sera un premier succès où il fait voyager sa troupe de danseurs vers des univers inconnus, comme celui du kalaripayat. Cela fonctionne tellement bien qu’il créé le collectif Hanatsu qu’il dirigera pendant 3 ans, le temps d’achever son master 2.

Se posant beaucoup de question sur ce qu’il compte faire dans la vie et quel sens donner à ses études, Yon hésite. C’est alors qu’il fait une rencontre capitale avec le grand maître coréen de peinture Sung-Pil Chae. Peintre depuis de nombreuses années et professeur d’histoire de l’art traditionnel en Corée du Sud, Yon lui présente ses œuvres et lui demande de devenir son élève. Mais là encore, c’est un véritable entraînement martialo-pictural qui débute. L’étude du classicisme asiatique en peinture, la lecture des œuvres philosophiques bouddhistes et taoïstes vont l’amener à maîtriser toutes formes de travail au pinceau chinois et à l’encre noire sur une surface blanche. Peu à peu, il comprend que sabre ou pinceau, l’outil n’est qu’un moyen de réaliser le geste du corps, que ce soit à travers les arts martiaux ou la peinture. Et que ce geste doit être spontané, non réfléchi. A ce sujet, Yon se rappelle encore sa deuxième leçon.

« Après avoir fait des traits et des traits lors du premier cours, Sung-Pil Chae me propose une promenade pour le second cours. Il habitait la campagne et nous marchions. Il me demandait de bien observer tout ce que l’on pouvait voir. Il fallait développer le sens de l’observation. N’importe quoi devenait sujet à peindre, même le plus anodin. D’un coup il me disait : tu as vu l’arbre bouger dans le vent, vite peint-le ! Cela me rappelait Takuan Soho lorsqu’il évoquait la vigilance constante ».

En 2005 et 2006, la faculté d’arts plastique met à sa disposition des salles énormes, des ateliers d’artistes. Il va falloir poursuivre son croisement entre les arts, la peinture et ceux de combat. Il réalise aussi ses premiers essais de shobudo (calligraphie) et Sung-Pil Chae le conseille, le corrige et devient son tuteur technique, alors que la faculté ne propose à son niveau qu’un suivi théorique de son travail. Grâce à son maître il apprend le marouflage, la présentation, la qualité du trait, la méditation nécessaire pour placer son sceau. Le sceau d’un artiste ne peut pas se tamponner n’importe où. Il doit faire partie de l’œuvre.

« Un jour que nous discutions à propos de l’une des œuvres de Sung-Pil Chae, il me confie presque gêné qu’il avait du mal à trouver la place du sceau pour faire résonner le vide. Le maître conclu que son travail n’est pas réussi. Trouver la place du sceau est affaire de méditation, afin qu’il prenne vie par le dernier souffle, celui justement qui scelle son origine »

Trois ans plus tard, Sung-Pil Chae offre à Yon le plus diplôme du monde qui soit : deux sceaux gravés par ses soins et les quatre pinceaux avec lesquels il avait pratiqué pendant ces trois années.

L'un des 2 sceaux fait par maître Sung-Pil Chae

Tout ce parcours essoufflant et époustouflant fait de Yon un artiste autant martial que plasticien. L’intensité de ses entraînements martiaux a un peu ralenti aujourd’hui, mais il continue à pratiquer, à s’intéresser à l’Asie (il part prochainement au Japon), à l’énergie, au shiatsu et à la philosophie. En retour, l’intensité de ses œuvres a muri et explose sur ses toiles, parfois dans le trait du pinceau, parfois dans la force contenu des nuages tranquilles qu’il aime à faire naviguer sur ses toiles. Son style a également su évoluer et il passe de la forme la plus classique de la peinture asiatique à des œuvres ou il transcende ses acquis pour faire naître de nouvelles possibilités.

J’aurais aimé faire un pronostic sur Yon Costes, comme je l’ai fait avec Guillaume Erard, et vous dire qu’il est un grand artiste en devenir. Mais j’arrive un peu tard car il expose déjà régulièrement et ses œuvres font l’objet d’une considération toujours plus grande. Mais pour les pratiquants d’art martiaux, tout comme pour les amateurs d’art asiatique, ses œuvres sont à voir et à découvrir… et pourquoi pas à commander en les prenant pour ce qu’elles sont : des valeurs montantes et (il faut en profiter) encore abordables. N’hésitez pas à le contacter, à l’inviter dans vos dojos, lieux d’expositions et le questionner sur la double voie du sabre et du pinceau : sa simplicité n’a d’égal que sa gentillesse.

Site de Yon Costes : Yon Books