En 20 ans, estime Boeing, le transport aérien va beaucoup recruter.
Les grands industriels, dotés de moyens de communication de plus en plus sophistiqués, tiennent remarquablement bien les médias en haleine, occupent le terrain, vantent les mérites de leurs avions mais, trop souvent, tendent ŕ occulter le fait que rien n’est possible sans des hommes et des femmes hautement qualifiés, pilotes et techniciens trčs recherchés et pas toujours disponibles en nombres suffisants. Une remarque qui peut paraître étonnante en ces temps de basse conjoncture, encore que cette derničre ne frappe pas partout de maničre égale. D’oů l’importance de s’écarter de l’actualité française pour évoquer cette situation.
Boeing vient précisément de se livrer ŕ une étude qui, en cette matičre, en dit long en quelques chiffres : le transport aérien mondial, sur base d’un taux de croissance annuel de 5%, doit se préparer ŕ recruter en 20 ans 460.000 pilotes et plus de 600.000 techniciens. Sans quoi l’essor des compagnies aériennes risque d’ętre sérieusement compromis, les mettant dans l’impossibilité de répondre convenablement ŕ la demande.
Bien sűr, pour apprécier cette prévision, au demeurant tout ŕ fait crédible, il est indispensable d’élever le débat et de s’extraire de l’actualité locale. Il convient donc d’oublier, par exemple, le cas des pilotes qu’Air France veut envoyer en Chine pour quelques années ou, moins loin, dans le cockpit des Boeing 737 de Transavia. Tout comme il convient de ne pas évoquer de jeunes pilotes en galčre qui, paradoxalement, ne trouvent pas de travail.
Un peu plus optimiste qu’Airbus, encore que les ordres de grandeur soient similaires, Boeing prévoit la livraison sur 20 ans de 31.000 avions, dont on suppose qu’ils se répartissent ŕ parts plus ou moins égales entre les deux rivaux. L’avionneur américain, au-delŕ de ses traditionnelles prévisions, prend la peine d’évoquer l’intendance, si l’on ose dire. Et c’est lŕ qu’apparaissent les vraies dimensions du défi ŕ relever. Et, bien entendu, c’est la région Asie-Pacifique qui affiche les plus grands besoins, 186.600 pilotes et 243.500 techniciens, ce qui n’est pas inattendu, compte tenu de la croissance trčs forte de la demande qui est attendue, et déjŕ amorcée, dans cette partie du monde.
En numéro 2, l’Europe n’est pas vraiment en reste, avec un besoin estimé ŕ un peu plus de 100.000 pilotes et 129.000 techniciens. C’est beaucoup et on est en droit de s’interroger sur la capacité des différentes filičres ŕ répondre ŕ une demande de cette ampleur. D’autant que les Etats-Unis, marché Ťmatureť ou pas, suivent ŕ distance respectable avec un besoin exprimé de 69.000 pilotes de 92.500 techniciens. D’autres régions, disent les spécialistes de Boeing, auront des besoins sensiblement moindres, la marche étant fermée par l’Afrique et les pays de l’ex-URSS. Ce qui revient ŕ dire, indirectement, que les perspectives d’essor de leurs compagnies restent médiocre.
Sur le plan des grands principes, ces repčres risquent de susciter de sérieuses inquiétudes. On pourrait en effet en conclure que la profession de pilote de ligne tend ŕ se banaliser et que les grandes exigences qu’elle implique pourraient risquer l’incompatibilité avec l’impérieuse nécessité de Ťproduireť plus, plus vite, pour répondre ŕ la demande. D’oů l’apparition probable d’un problčme nouveau, pas uniquement économique, un autre défi en matičre de sécurité aérienne. Comment, en effet, recruter et former exclusivement des candidats ayant parfaitement conscience des particularités d’une profession qui, quoi qu’en disent certains, reste hors du commun ?
Les hommes, les femmes, qui s’installent dans les cockpits, sans ętre pour autant des ętre d’exception, sans afficher le niveau de Mermoz ou Neil Armstrong du XXIe sičcle, doivent ętre préparés ŕ accepter de grandes responsabilités, quels que soient les progrčs de la technique. La génération en place dit parfois assister ŕ un dialogue entre ordinateurs sans possibilité de participer ŕ la discussion. Il s’agit lŕ d’un constat caricatural qui ne correspond pas ŕ la réalité mais qui témoigne d’un malaise qu’il serait malvenu de ne pas prendre en compte sans plus attendre.
Le nombre d’avions n’est qu’une donnée parmi d’autres, encore que la plus Ťpubliqueť. Mieux vaut dire que le trafic aérien va doubler dans les 15 prochaines années, pour traiter ŕ ce moment lŕ prčs de 6 milliards de passagers par an. D’oů l’immensité de la responsabilité confiées aux pilotes.
Pierre Sparaco - AeroMorning