A partir de la chronique d'un village sibérien durant le vingtième siècle, toute l'histoire contemporaine de la Russie défile pendant près de quatre heures. On ne les voit pas passer.
"Sibériade" de Andrei Konchalovsky
Avec : Evgueni Petrov, Serguei Chakourov, Alexander Potapov Sortie Cinéma le 04/09/2012 Distribué par Potemkine-agnès b Durée : 270 Minutes Genre : Drame, Guerre, Historique Film classé : - Le film : Les bonus : |
Trente-trois ans après, ça demeure impeccable. Ce cinéma de la raison et de la joie de vivre. Ce cinéma existentiel qui brasse les idées et les plaisirs, pour donner à voir le monde tel qu’il est. Comme celui qu’entreprend de parcourir Kontchalovski, qui de la naissance de la nation russe à l’aube du XXème siècle à la mort par asphyxie mentale de tout un passé, bouscule à la fois l’Univers et le septième art.
Car pour embraser une telle épopée, le réalisateur choisit un petit village perdu et minable de Sibérie, où deux familles se font la guerre. Les Solomine, riches, et les Oustioujine, pauvres, mais à l’idéalisme vainqueur. Le fils de ces derniers, dès sa plus tendre adolescence, a le fusil à portée de slogans. Ballotté par les soubresauts de l’Histoire, il est l’idéologie incarnée par un cinéaste très inspiré par ce personnage toujours en phase avec son temps.
Celui des conflits, des amours et de l’industrialisation galopante qui le mènera à conduire la prospection pétrolière au cœur même des paysages de son enfance. Les vieux du village hésitent entre le fatalisme et la résignation, s’arc boutant in extremis à son ennemi d’autrefois un Solomine, donc), devenu premier secrétaire. Mais lui aussi a laissé ses illusions aux placards des souvenirs, emporté dans un vertige moderne, où les nantis d’autrefois, bousculés par la chute d’un tsar et l’abolition des privilèges, se retrouvent à combattre, le cul collé aux serfs libérés. A l’époque, ils les escroquaient contre un peu de vodka et des peaux de bêtes arrachées à l’aveuglette.
Ce sont des chroniques villageoises épiques, des mariages à l’emporte-pièce (une scène magnifique), une démesure des sentiments sur laquelle Kontchalovski s’appuie pour annoncer les bouleversements géo-politiques et sociaux de la Russie. Le tableau flamboyant qu’il en dresse a pu inspirer par la suite des gens comme Kusturica.
On y retrouve toute l’âme slave et la poésie des paysages, la folie des cœurs et de l’esprit qui emporte un bûcheron à travers la forêt en quête d’une route qu’il ne terminera jamais. C’est le père du héros qui oublie que le fleuve est ici le passage obligé pour les civilisations à venir. Des soldats, des ingénieurs, des foreurs, des prospecteurs… L’Histoire est en marche, bonne ou mauvaise, comme le rappelle le fiston au vieillard qui hante les marais « Tu mords sur mon siècle, il serait temps de mourir », lui dit-il.
Ce même sage qui un peu plus tard pourra répondre au premier secrétaire désabusé « quoi qu’on fasse, on ne pourra jamais nous déporter plus loin qu’en Sibérie ». Un pays de fin du monde, de désolation où même les idéaux les plus nobles, perdent pied dans la fange et l’abandon. Pour Kontchalovski visiblement, la Révolution c’est pas tout bon !
LES SUPPLEMENTS
- Entretiens avec Andreï Kontchalovski – 27′ , avec le scénariste Valentin Zzhov – 11’55 , avec le compositeur Edouard Artemiev – 8 ’28 et le décorateur Alexandre Adabachian – 5’42
Son premier long métrage « Le premier maître » en 1965 lui vaut la bienveillance du pouvoir soviétique, qui deux ans plus tard déchantera avec « Le bonheur d’Assia », qui présente selon lui une vision trop réaliste de la misère paysanne. Il sera censuré. Aujourd’hui ce film est considéré comme un chef d’œuvre.
« Sibériade » est une commande, une super-production qui lui ouvre les portes de la reconnaissance internationale. Fresque grandiose en quatre parties, le projet fut imaginé comme l’équivalent soviétique du « Novecento« de Bertolucci, réalisé trois ans auparavant. Soutenu par d’impressionnants moyens financiers, commandé par le Parti pour raconter l’histoire du pétrole, ce film fleuve est avant tout l’œuvre d’un grand auteur, Andreï Kontchalovski. Formellement magnifique, la portée épique, historique et mystique du film élargit le propos et l’éloigne sensiblement de l’œuvre de propagande.
Kontchalovski émigre aux Etats-Unis en 1980, jusqu’à la fin de la guerre froide.
- Reportage d’époque ( 3 mn )