On n’échappe pas à son destin, telle pourrait être le fil conducteur de ce sixième volume des aventures de Bernhard Gunther, devenu en 1934 détective du meilleur hôtel de Berlin, sur Unter den Linden : l’hôtel Adlon. En fait, Bernie a décidé de quitter la police officielle avant de se faire virer. Il n’est vraiment pas d’accord avec la tournure des événements qui rapidement font de l’Allemagne un pays totalitaire, écartant systématiquement les Juifs de toutes les fonctions, en particulier dans la police, et dans le sport.
Deux enquêtes parallèles vont le préoccuper : un ancien boxeur juif noyé dans un lac mais les poumons remplis d’eau salée, un homme d’affaires originaire de Würtzburg, à première vue mort d’une attaque cérébrale alors qu’il recevait à l’Adlon une jeune femme. La problématique de ces deux affaires tourne autour de la corruption massive qui affecte les chantiers de construction des futures installations olympiques. Trafics de main d’œuvre en tous genre, de fournitures, d’influences. Intervient alors un personnage central du roman, venu de Chicago pour conclure des contrats : Max Reles. Un homme en tous points redoutable.
La belle journaliste Noreen Charalambidès, amie de la propriétaire de l’hôtel, vient à Berlin pour tenter de convaincre ses lecteurs américains de boycotter les Jeux Olympiques en raison de l’exclusion systématique des athlètes juifs de toute participation. Hedda Adlon la confie à Bernie pour la protéger. Ils sont jeunes et beaux, Bernie va tomber follement amoureux, mais la mission de Noreen va prendre une si dangereuse tournure que son expulsion d’Allemagne sera le prix du maintien en vie du détective trop curieux. Fin de première partie.
Vingt ans après, nous retrouvons Bernhard Gunther, sous l’identité de Carlos Hausner, homme d’affaires germano-argentin, à La Havane. Il a dû quitter rapidement l’Argentine des Péron dans le dernier roman de Philipp Kerr, « Une douce Flamme ». C’est Cuba à l’heure des énormes Cadillacs rouge décapotables avec des pneus à flancs blancs, aux casinos dont sont propriétaires les mafieux reconvertis comme Meyer Lansky, partageant leurs profits avec Fulgencio Battista, tandis qu’on espère une libération anticipée du jeune avocat Fidel Castro, emprisonné après le fiasco de la Moncada. Cependant, le monde est petit et Bernie rencontre soudain Noreen, venue se garder à Cuba des tracas du maccarthysme avec sa sculpturale fille, Dinah. Le temps n’est plus aux retrouvailles amoureuses … quoique … Noreen confie à Bernie la mission de faire échouer le projet de mariage de Dinah avec un homme bien plus âgé qu’elle et surtout au passé plus que sulfureux : Max Reles. Voici donc de nouveau Bernie plongé dans une nouvelle aventure, dans un pays en proie à une tension prérévolutionnaire.
Encore un excellent roman, que l’on ne peut lâcher, foisonnant de personnages historiques, imaginés dans des situations vraisemblables et très bien documentées. On y retrouve la triste figure d’Avery Brundage, président du CIO et fervent (et intéressé) adversaire du boycott des JO de 1936 par les Etats-Unis, Ernest Hemingway en propriétaire absent d’une somptueuse villa bourrée d’armes, un jeune écrivain cubain qui sera célère puis s’éloignera du Castrisme, des tas de vrais gangsters soucieux de la paix civile pour le bien de leurs petites affaires. Le seul problème : Bernard Gunther approche la soixantaine et n’a toujours pas cessé de se fourrer là où il ne devrait pas. Heureusement qu’il reste encore quelques périodes un peu floues dans sa longue vie, quelques espaces pour raconter ces segments de vie inconnues …. Sauf de l’auteur !
Hôtel Adlon, roman de Philip Kerr traduit par Philippe Bonnet, aux éditions du Masque, 509 p. 22,50€