Après nous avoir laissés il y a deux ans avec son somptueux There Is Love In You, Four Tet a eu le temps de faire plein, plein de choses. Il a sorti une grosse flopée de singles, bossé avec Burial, et j’en passe. Il a alors décidé de faire une compilation, Pink, qui rassemble 6 de ses singles et deux nouvelles compositions. Chronique !
Tous les singles sortis par le génial Four Tet récemment ont été très bons, et ont prouvé la maîtrise exceptionnelle de l’un des producteurs les plus talentueux de sa génération. Est-ce que c’est une bonne idée de tous les compiler en réussissant à rendre ça cohérent ? 8 chansons, un peu plus d’une heure d’écoute. Quand on fait un album qui dépasse l’heure d’écoute, il faut veiller à ce qu’à aucun moment l’auditeur ne se dise qu’il s’ennuie et qu’il décide par conséquence de couper court à son écoute. Il y a ces albums d’une heure qui nécessitent du temps et une implication pour se dévoiler à la personne qui l’écoute, qui devra se concentrer et accepter chaque loop, chaque bruit qui se répète. Avec Pink, on est pas dans ce cas de figure. L’ennui est aussi rare que le manque de maîtrise sur cet album, c’est-à dire quasi inexistant. Ce n’est pourtant pas le genre d’album dont je parlais, celui qui prend du temps et demande plusieurs écoutes pour être apprécié. C’est très simple, réellement : les 8 chansons de l’album sont toutes, sans exception, très très bonnes, voire excellentes. Si on aurait pu croire à un manque de cohérence vu qu’il s’agit d’une compilation, ce n’est pas le cas. Chaque oeuvre est magistralement exécutée et s’imbrique parfaitement dans un ensemble, un portfolio du talent de l’artiste qui nous prouve une fois de plus qu’il est l’un des maîtres incontestés de la musique moderne. C’est tout aussi varié, passant de ses tours de magie habituels (loops vocaux, gros drums, synthés aliénants) à de gros epics très longs et intenses.
La première chose qu’on remarque, et l’une des plus appréciables, c’est qu’entre le premier single, Pinnacles, sorti en mars 2011 et le dernier, 128 Harps, sorti en juillet de cette année, c’est-à dire plus d’un an et quelques, on peut dire que les influences de Four Tet ne sont pas restées bloquées dans le passé. Il a su évoluer durant ce laps de temps et on ressent cette évolution tout au long de l’album. Prenons Pinnacles, justement, l’un des stand-outs. Sur huit minutes et quelques, la chanson s’étend sur de lourds drums, une grosse basse, des synthés forts etc. Ce n’est qu’après trois minutes de groove qu’il décide de tout flip et qu’il drop un piano très puissant et intense, accompagné d’un cowbell qui introduit un léger breakdown. Le paradoxe de la montée du piano qui s’accompagne d’un breakdown ne devrait logiquement pas marcher, mais… je sais pas comment l’expliquer quoi, c’est encore un tour de magie de Four Tet. D’ailleurs, pour l’anecdote, les cowbells m’ont énormément rappelé le thème de GTA: San Andreas. Je lui ai demandé s’il l’avait samplé, il m’a dit que non. C’est encore meilleur de savoir qu’il a pensé à l’intégrer lui-même et qu’il l’a créé de ses mains. Ces petits détails géniaux sont parsemés sur tout le long de l’album, et damn ce que ça peut être appréciable. Il est le chef d’orchestre total de son oeuvre, il sait quand placer le breakdown, quand drop le piano, juste avant qu’on ne se dise “bon trois minutes de drums ça commence à devenir lourd” et “merde, il aurait dû laisser looper encore, c’est trop tôt“.
Comme je vous l’ai dit, les 8 chansons sont toutes très très bonnes, je pourrais pas vous parler de chacune. Les plus marquantes restent Peace For Earth ou encore Pyramid. Le premier est un unreleased, le second avait déjà fait beaucoup parler de lui sur son excellent Fabric mix l’année dernière. Ce dernier, se prélassant lui aussi sur 8 longues mais appréciables minutes, est l’un de ses plus grands moments de génie. Avec une intro ambient angoissante et plusieurs synthés Caribou-esques, il installe doucement une basse et un sample littéralement aliénant. Pitché, difficilement compréhensible, mais totalement frénétique et dansant, il dirige toute la chanson, avant les nombreux claps et kick drums qui promettent 8 minutes de danse. I remember how you walked away est répété sur toute la chanson avec un pitch lo-fi et une flopée de layers différents qui apportent au sample une profondeur incroyablement intense, et on ne s’en lasse pas. L’un des seuls tracks exploitant des vocals, il l’exploite avec maîtrise et génie, utilisant de nombreuses montées d’ambient et de synthés, préparant l’arme principale du track : le sample. Mais ce sample. Damn. C’est un travail exceptionnel.
Je n’ai pas vraiment abordé le côté émotionnel et humain de l’album, mais je pense qu’il est négligeable. Il existe, mais sincèrement, on écoutera surtout Pink pour être impressionnés par le côté technique dingue et le talent sans limites de son créateur. Je pense aussi que c’est l’objectif principal de la compilation. L’un des moments les plus humains et émouvants, néanmoins, reste l’epic de l’album : Peace For Earth, qui s’étend sur onze minutes et demie de blips et de blops sur un ambient qui n’a rien à envier à Boards Of Canada. Le côté minimal est superbement exploité, c’est objectivement et esthétiquement beau et émouvant, et il nous prouve encore qu’il sait tout faire. Après avoir navigué entre le jazz, le hip-hop, la techno, la house, le future garage, etc., Four Tet n’a plus rien à prouver. Mais entre nous, on le savait déjà. Il réussit à s’imposer comme l’un des meilleurs producteurs actuels, et maîtrise chaque genre qu’il exploite. Si ce n’était que ça : qu’il fasse du post-dubstep à la Pyramid, de l’ambient à la Peace For Earth, de la techno à la Locked, ou autre, on identifie toujours directement les sonorités de l’artiste. Ce synthé. Cette manière de sampler. Ces drums. Tout est du Four Tet, et on peut féliciter l’artiste pour avoir réussi à garder une carrière aussi constante durant tant d’années et avoir gardé les mêmes sonorités à chaque fois qu’il a changé de genre.
Je crois en avoir assez dit, je vais arrêter de radoter et conclure. Pink est une preuve de plus du talent et de la maîtrise de Four Tet, qui nous offre 8 tracks totalement maîtrisés et ce de manière presque alarmante. Chacune des chansons est worth-mentioning, et chacune aura son effet particulier sur l’auditeur. On ne s’ennuie pas en une heure, on en veut presque plus, même si toute personne qui aura suivi son travail aura déjà écouté 6 des 8 chansons dans le passé. Mais les réécouter reste un plaisir absolu, et encore plus quand il s’agit d’une entité telle qu’un album. Four Tet est un de ces rares maîtres de l’électro, et Pink n’est qu’un moyen de nous le rappeler, même si on en avait pas réellement besoin. 8.5/10
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