Cette belle métaphore des femmes incarcérées dans leur sombre "Tchadri", que Yasmina Khadra emploie ici comme titre, nous incite faussement à croire que les femmes seront au centre de ce roman qui se déroule pendant l'occupation de Kaboul par les taliban. Les hirondelles, ce sont en effet ces grandes victimes de la guerre, qui ont perdu leur identité et leur visage dans une société répressive où elles sont considérées comme des objets à cacher. Il faut peindre les vitres des fenêtres pour qu'on ne risque pas d'apercevoir le visage d'une femme. Une femme n'a pas le droit de rire dans la rue, de tenir la main de son mari ou de parler en présence d'un étranger. Sous la chaleur caniculaire de Kaboul, elle suffoque derrière son grillage obscur et souffre en silence.
Au fil d'une lecture passionnante, bouleversante, on entre ainsi dans l'univers étouffant de deux personnages féminins, mais on découvre aussi le portrait de leur époux, placés au premier plan de l'action. Ce sont deux hommes, qui sont les victimes indirects, impuissants du sort réservé aux femmes dans cette société islamique totalitaire. Leur récit est émouvant et l'amour qu'ils éprouvent envers la femme offre un contraste saisissant avec la brutalité de la guerre qui se déroule autour d'eux. Avec des mots poignants, qui n'ont pas peur de décrire l'indicible, Yasmina Khadra nous rappelle que les hommes sont eux aussi victimes de la guerre et sont capables de souffrir autant que les femmes.
Extrait :
"Subitement, elle s'en veut d'être là, assise sur le seuil d'une ruine, semblable à un balluchon oublié, attirant tantôt l'oeil intrigué des passantes tantôt le regard méprisant des taliban. Elle a le sentiment d'être un objet suspect exposé à toutes sortes d'interrogations, et cela la torture. La honte la gagne. (...) Comment a-t-elle pu accepter d'enfiler ce monstrueux accoutrement qui la néantise, cette tente ambulante qui constitue sa destitution et sa geôle..."