Bill Fay – Life Is People

Publié le 05 septembre 2012 par Hartzine

La solitude du coureur de fond, une lutte contre soi-même, une lutte contre les autres. Bill Fay, plus que tout autre, pourrait musicalement incarner Colin Smith, héros si fragile tout droit sorti d’une nouvelle d’Allan Sillitoe magistralement adaptée à l’écran au début des années 60, ce jeune homme magnifiant sa discipline de prédilection, la course à pied, afin d’en faire un Art dont la rêverie et l’évasion dépassent les vicissitudes de son existence. Car si le compositeur anglais n’a pas rencontré le succès escompté au début des années 70 lorsqu’il sortit successivement ses deux premiers albums, il devait cependant être loin de penser que la traversée du désert allait durer près de quarante ans. Un anonymat qui, cependant, n’a en rien altéré sa soif de composition, assuré que Dieu saurait reconnaître ses plus fidèles serviteurs et qu’il n’était pas vain de défier cet ordre établi lui ayant préféré Bob Dylan ou encore Nick Drake. Même si en 2009 le bien nommé et courageux Still Some Light marquait les prémices d’un retour annoncé déjà engagé quelques années auparavant par la sortie chez Drag City de Tomorrow, Tomorrow & Tomorrow, album pourtant enregistré à la fin des années 70, le véritable signe du destin est apparu en la personne de Joshua Henry, producteur et admirateur du musicien lui ayant rouvert grand les portes du studio d’enregistrement. Fort de ses compositions longuement mûries et encadré par des musiciens aux références certaines capables de donner aux morceaux un caractère classique mais ancré dans un esprit particulièrement contemporain (dont Matt Deighton connu notamment pour avoir officié aux côtés de Paul Weller), tout était mis en œuvre pour faire de cette résurrection un des événements majeurs de cette année musicale.

Car il est bien question de retour en grâce à l’écoute de Life Is People, chef-d’œuvre de spiritualité sorti chez Dead Oceans. En effet, les 12 pièces qui le composent nous invitant sans cesse à réfléchir sur notre propre condition vis-à-vis des éléments et des êtres qui nous entourent atteignent un niveau de mysticisme jamais égalé depuis 1994 et cet état de Grace ayant alors si justement habité le fils Buckley au travers d’un premier opus déjà en forme de testament. Et comme pour fédérer encore un peu plus son auditoire dans sa quête d’universalité, Bill Fay parvient par le jeu d’orchestrations tantôt riches (l’entraînant This World bénéficiant de la collaboration du toujours impeccable Jeff Tweedy de Wilco), tantôt plus dépouillées mais toujours d’une rare subtilité (la somptueuse reprise solo-piano de Jesus, etc. du même groupe chicagoan) à mélanger les sentiments et les impressions dans des compositions toujours portées par une voix presque sépulcrale et sans cesse concernée. Ombres et lumières se succèdent alors, l’inquiétant et spectral Big Painter, le prêché Be At Peace With Yourself et ses chants gospel dans la plus pure tradition de la musique évangélique, le magique The Healing Day et ses arpèges accompagnés de quelques subtiles cordes lorgnant du côté de Scott Walker et prêt à faire pleurer de jalousie Neil Hannon, les délicats et rassurants Thank You Lord et Empires et leurs légères touches pianistiques savamment distillées. Le piano, instrument de prédilection de l’artiste, qui nous offre au travers de The Never Ending Happening très certainement le morceau le plus poignant de cette merveilleuse collection d’incantations, ce genre de pièce dont la première écoute vous paraît si familière et évidente qu’elle en devient unique. Cette myriade de trésors s’achève sur The Coast No Man Can Tell, titre en forme d’adieu évoquant la mort et mettant encore une fois à l’honneur le piano, non sans rappeler le There Is A Place In Hell For Me And My Friends de Morrissey autant dans le fond que dans la forme, une sorte de ravissement face à l’œuvre enfin accomplie qui n’attend aucun jugement sinon celle de son « créateur » qu’il convienne de l’écrire avec une majuscule ou non.

Disque d’une rare intelligence, ne cherchant pas à raviver les fantômes du passé mais bien à s’inscrire dans une notion d’atemporalité tout en acceptant l’époque dans laquelle il a été conçu (grâce notamment son excellente production), Life Is People fait partie de ces oeuvres dont on prend plaisir à déceler le caractère unique et précieux, celles-là mêmes qui marquent la distance entre intérêt et dévotion. Il aura fallu à Bill Fay faire preuve de beaucoup de ressources afin d’atteindre enfin l’hypothétique reconnaissance de son talent ; prions pour que ce joyau reçoive les honneurs qu’il mérite afin que son compositeur puisse entrevoir enfin la ligne d’arrivée et lever les bras vers le ciel.

Audio

Tracklist

Bill Fay – Life Is People (Dead Oceans, 2012)

01. There Is A Valley
02. Big Painter
03. The Never Ending Happening
04. This World
05. The Healing Day
06. City Of Dreams
07. Be At Peace With Yourself
08. Jesus, etc.
09. Empires
10. Thank You Lord
11. Cosmic Concerto (Life Is People)
12. The Coast No Man Can Tell