Hier aprèm, mon mec m’a dit “Regarde”. Alors je regarde. Il m’envoie ça http://www.express.be/business/fr/economy/message-a-ladresse-des-jeunes-de-france-barrez-vous/175934.htm. Je me suis demandée si c’était une façon de me dire qu’on avait bien fait de partir. Si nos motivations tendent à différer et notre approche du voyage aussi, le résultat est là, nous avons quitté Paris il y a trois mois pour Londres.
Alors, les jeunes, faut-il vous barrer comme l’incitaient Félix Marquardt, Mouloud Archou et Mokless dans les colonnes de Libé cette semaine.
« Barrez-vous, plus prosaïquement, pour améliorer votre niveau de vie. Car si vous ne gagnerez pas automatiquement plus d’argent en (re)démarrant votre carrière à l’étranger, la probabilité que votre niveau de vie s’accroisse sensiblement au bout de quelques années le cas échéant est statistiquement bien meilleure que si vous restez embourbé en France. Partez, revenez, repartez encore, revenez de nouveau. Une vertu centrale de vos pérégrinations sera d’enfin réconcilier la France, forte de vos lumières, avec la réalité du monde qui nous entoure. »
Mon départ est certes récent mais j’en vois déjà les bienfaits. Ca n’a pas été simple de tout quitter surtout sans plan précis mais nous n’avions en aucun cas l’intention recommencer à zéro. L’intérêt de partir était de monter en puissance, pas de se construire une nouvelle vie. Donc pas question de retourner en bas de l’échelle professionnellement. La concurrence dans le digital est forte à Londres (lire aussi mon article sur Comment j’ai trouvé un job à Londres) J’ai l’impression que s’il y a plus d’offres sur le marché, la demande est aussi sans doute trois fois supérieure qu’à Paris. Il y a aussi le fait que l’offre est différente. Par exemple la première chose qui m’a frappée c’est le nombre d’offres pour des jobs de chef de projet freelance. A Paris j’ai souvent travaillé avec des designers, des développeurs, des community managers freelances, mais jamais de chefs de proj’ avec ce statut. C’est souvent un poste étiqueté CDI alors qu’ici le turnover est dingue!
Ce que je peux dire, c’est que ça vaut la peine de persister pour trouver un boulot qui soit à la hauteur de vos ambitions (et surtout de vos envies) pour donner de la valeur à votre voyage. J’en chie encore au quotidien à cause des facteurs culturels et linguistiques, mais je me sens inexorablement grandir dans l’expérience. Si je considère uniquement Londres comme une première escale , il est clair dans ma tête que je retournerai un jour en France enrichie de tous ces voyages.
Si j’ai choisi le chemin du salariat, mon amoureux en revanche s’est jeté dans le grand bain de l’entrepreneuriat. Un pari risqué mais une aventure tellement excitante. Il a monté l’agence French Ideas et voilà son retour d’expérience pour ceux qui lorgnent vers cette voie-là.
Tu as choisi en t’expatriant de monter ta boite. Quel a été le déclic?
On parle volontiers du plafond de verre pour définir le blocage dont sont victimes les femmes pour accéder aux postes à responsabilité en France. Je pense malheureusement que ce “plafond” est aussi compliqué à franchir pour certaines jeunesses. En clair, sans patrimoine ou investisseur, il est très compliqué de pouvoir monter une structure, le risque étant excessivement important; l’accès aux jobs de décideurs est lui aussi limité : on maintient en France un devoir d’illusion, à savoir mettre quelqu’un “qui fait sérieux” comme patron. Comme je ne voulais plus attendre, j’ai décidé de prendre la tangente britannique.
Il parait que c’est simple de monter sa boite au UK. Quels sont les principaux avantages vs la France?
C’est vrai et faux. Vrai parce qu’on peut lancer une “Limited company” (en gros l’équivalent d’une Société anonyme) en une journée. L’administratif est éminemment plus léger et permet à quiconque de pouvoir se lancer tout en bénéficiant d’un statut à responsabilité limitée (beaucoup moins foutage de gueule qu’un statut auto-entrepreneur par exemple).
L’autre avantage est justement le rapport à l’innovation : si tu veux 5 minutes avec Richard Branson, si tu insistes, tu peux les avoir. Pareil pour l’accessibilité des dirigeants : à partir du moment où tu peux apporter un peu de valeur, on t’accorde au moins un entretien, quelque soit ton accent.
Quelles sont les principales difficultés que tu rencontres en étant entrepreneur à l’étranger? Quelles sont les signes encourageants?
Attention, ce n’est pas le pays des bisounours et on est au pays d’Adam Smith; qui dit facilité de création engendre forcément une concurrence accrue. Une fois la structure créée, on se rend rapidement compte que certains accès (groupes professionnels etc.) sont très difficiles à pénétrer (dans mon cas de figure, pour pouvoir adhérer à une association professionnelle pertinente, ma compagnie devrait pouvoir justifier de 500K de chiffre d’affaires, on est pas exactement sur les mêmes niveaux…). Chaque service est payant. Et à mesure que l’entreprise s’étoffe, l’administratif se complexifie, ce qui justifie l’appel à des comptables. Attention aussi à l’habitude française de la sécurité sociale et des mutuelles : ici, on considère ça comme des “benefits”, pas comme des droits. Je dirais que c’est idéal quand on est jeunes, en bonne santé et sous perfusion d’espoir et d’idées, mais que ça peut rapidement être inaccessible pour des gens moins libres : les écoles coûtent chères, les logements aussi etc.
Les signes encourageants sont qu’on te donne ta chance et tes premiers essais. Tu n’es pas millionnaire en un jour mais ça te permet de te développer, individuellement et collectivement. Des groupes se greffent à tes activités, il y a une forme d’émulation entre micro structures. Et c’est inestimable.
Sous quelles conditions reviendrais-tu travailler en France? Quel genre de personnes embaucherais-tu?
J’adore payer des impôts, et lors de mes études, les 4 premières années ont été payées en partie par la collectivité. Je m’estime donc responsable et redevable pour cette faveur là. Je pense pouvoir monter un bureau France le jour où on sera fortement taxés sur le profit et le profit seulement plutôt que sur la chaine de valeur. Je pense aussi qu’un contrat de travail unique, plutôt que les différents contrats actuels, permettrait de faciliter la tâche d’un apporteur d’idées. Je pense qu’une mécanique d’incitation à valoriser le travail plus lisible serait appréciable : par exemple, alléger les taxes si on investit véritablement sur les employés à travers des vraies formations (et pas du pipeau comme “1h de formation à l’art oratoire”) ou encore être incité à apporter le capital de départ à des employés qui souhaitent voler de leurs propres ailes via leurs propres structures, plutôt que de laisser les ruptures conventionnelles faire ce travail-ci. Je pense aussi qu’on pourrait exonérer d’impôts et de taxes notamment la première année tous les entrepreneurs. Le réflexe français est de dire “il va y avoir des fraudes et des abus”. Que ceux-ci soient condamnés, et fermement; mais qu’on n’oublie pas qu’il n’y a pas plus joli lâcher prise et responsabilisation des citoyens quand ceux ci se trouvent investis d’une “mission” ou d’un projet. C’est ça, peut être, la vraie redistribution. Enfin, j’aimerais qu’on arrête de reproduire les mêmes dérives au sein de France Telecom (pardon, Orange) ou de l’ORTF (pardon pardon!) : à croire que les dirigeants de “fleurons français” ont atteint un seul d’incompétences, et que “les bons” sont partis ouvrir leurs refuges en Ardèche ou lancer une start up dans leur coin. C’est dommage que les directions deviennent des placards.
Le type de personnes que j’embauche est toujours “atypique” : une passionnée de tueurs en série fera une excellente analyste; un rouletabille des fins de soirées fera probablement un excellent cynique, donc un très bon planner; un DJ slash vendeur de tulipes fera probablement le meilleurs des commerciaux. Mon point n’est pas de dire que les écoles “élitistes” ne valent rien, bien au contraire : mais les nouvelles élites arrivent à compiler background en termes d’éducation et curiosité.