La poésie, « Plus utile que jamais ! Indispensable ! », dit Michel Butor

Par Poesiemuziketc @poesiemuziketc

Source : Actualitté 23/08/2012


La parole aux auteurs des éditions La Différence

À quoi bon la poésie ? Si elle n’a pas à voir avec vivre, avec ce qu’il en est de vivre, ses contradictions, ses fatigues, cet épuisement qui nous tient. Aussi. À quoi bon la poésie si elle n’est qu’un jeu de langage, belles fleurs de serre stériles.

Simple jeu de l’intellect, belle coque certes décorative, mais vide. Ou alors étonnante conque, et quel exotisme alors où perdre son imagination. À quoi bon la poésie si elle n’aide pas à vivre, pas côté béquille consolatrice, mais bien plutôt bâton de marche, bâton ferré pour un métier de pointe ?

J’aime que Michel Butor en toute occasion en clame l’utilité. Et n’est-ce pas sous ce titre provocateur L’utilité poétique qu’il a publié aux éditions Circé en 1995 ses cinq leçons de poétique, lues à la villa Gillet de Lyon au cours du premier trimestre 1994. 

J’aime que par-delà ceux pour qui la poésie est hors champ, pas même ennemis, pire indifférents, ceux qui se contentent de hausser les épaules et passent, voûtés, dos maçonné sur l’horizon, col relevé, sans cou ni regards, il ne s’en laisse pas conter par ceux qui, idéalistes de peu, se prétendent ses amis, et qui pour la tirer hors de la fange de ce monde et la garder pure de toute dévastation la disent « inutile » croyant par là l’honorer.

J’aime le voir régler leur compte à ses faux amis, ces êtres qui jouent du paradoxe et qui la disant « inutile » osent affirmer que c’est justement en cela qu’elle est vraiment « utile », paradoxe sophistique dont Michel Butor dit qu’on l’a « entendu jusqu’à la nausée ». Oui, ce sont des « paradoxes de supermarché », de purs jeux de langage.

Poésie ? Le mot chez Michel Butor occupe une position stratégique vis-à-vis de tout ce qui est affaire de langue : religion, musique, science, économie, politique et si tout ce qui est affaire de langue est au cœur de nos vies d’hommes, là où se joue la question de leur dignité donc du sens, alors au cœur du cœur, cœur de feu, il y a la poésie.

Michel Butor, crédit: Nicole Giraudo

Poésie ? Le mot chez Michel Butor s’entend au plus près de son sens. Il dépasse les oppositions de genre aussi traditionnelles que figées. 

Poésie est ce que font les poètes et poètes sont ceux qui facteurs de langue, artisans, fabricateurs d’un objet dont le ton singulier fait qu’il ne se ferme pas sur lui-même, mais qu’il vibre de tous ses mots, rayonne entre ses lignes, brûle du fond de ses images et projette sa lumière et sa chaleur autour de lui. Ce « ton » est de l’ordre de la musique. De l’ordre de la prosodie, dit Michel Butor.

Prosodie, le mot fait signe vers ce travail dans et sur la langue qui voit l’écrivain remuer les mots jusqu’à « passer de l’autre côté de (leur) surface » fracturer les clichés, ouvrir des brèches dans les tournures anciennes, organiser autrement les textes, faire boiter les formes fixes de la tradition, inventer d’autres usages pour les blancs, la ponctuation…

Et toujours rythmer la langue dans l’émoi, sous les coups de boutoir du monde, les surprises qu’apportent tous les jours À l’écart où vit Michel Butor les artistes qu’il accueille toujours avec une générosité rarement égalée.

Alain Freixe est un poète et critique français. Chroniqueur poésie au journal L’Humanité, il est également membre du comité de la revue “Friches”, président de l’Association des Amis de l’Amourier, vice-président du Centre Joë Bousquet et son temps (Maison des mémoires, Carcassonne) et directeur de publication de la gazette “Basilic”. Il anime aux côtés d’Yves Ughes, son président, et de Jean-Marie Barnaud, l’association Podio, pour la défense et l’illustration de la poésie à Grasse, qui organise tous les ans, dans le cadre de la Bibliothèque Municipale de Grasse, un cycle de rencontres-conférences “Pourquoi des poètes…?”

Son blog P/oésie

Depuis 2006, les Editions de la Différence publient les oeuvres de Michel Butor, et deux nouveaux ouvrages sont prévus pour cette rentrée, Une nuit sur le mont Chauve, et Conversations sur le temps.