Et si les progressistes quittaient l’Eglise ?

Publié le 05 septembre 2012 par Tchekfou @Vivien_hoch

Et si les progressistes quittaient l’Eglise ?

La question peut dès lors se poser : pourquoi des catholiques de gauche que leur doctrine entraîne toujours plus loin des enseignements de l’Eglise en matière de foi et de mœurs restent-ils dans l’Eglise ? La question a été sérieusement posée par Bill Keller, ancien rédacteur en chef du New York Times. « Ce texte, note La Vie, a été fortement discuté dans des milieux progressistes catholiques[3]. » L’hebdomadaire chrétien et humaniste mentionne l’une des principales réponses données à cette question, celle de la théologienne Jamie L. Manson dans le National Catholic Reporter du 27 juin 2012[4]. Cette réponse, à bien des égards, est très intéressante ; elle l’est d’ailleurs bien plus par ce qu’elle omet que par ce qu’elle affirme. Je reproduis donc l’essentiel du résumé que fait La Vie de son article :
Jamie L Manson explique que « le fait de quitter l’Eglise est un luxe que le monde ne peut s’offrir ». Certes, admet-elle, « la prise en main hostile de l’Eglise par des forces archi-conservatrices [...] est un fait accompli [...] et les choses ne vont pas changer. » De même, elle partage tout à fait l’avis de Keller sur les responsables de l’Eglise qui semblent souhaiter que les dissidents catholiques s’en aillent. Mais, elle n’est pas d’accord sur un point : si les catholiques vivant en Occident pourraient effectivement quitter l’Eglise pour « faire leurs courses dans le vaste marché spirituel, où l’on trouve tout, de la médiation zen à l’Evangile de la prospérité », ceux qui vivent dans les pays pauvres n’auraient guère cette possibilité. « Il est important de rester en solidarité avec les catholiques à travers le monde et continuer ainsi nos actions afin de réformer l’enseignement de l’Eglise.

De fait, on n’aurait pu être plus clair. Si Mme Manson refuse de quitter l’Eglise catholique, ce n’est pas parce qu’en dépit de son malaise, elle y reconnaît l’Eglise de Dieu, l’Eglise divinement instituée et fondée sur Pierre par Notre-Seigneur Jésus-Christ pour être l’unique arche du salut, son Corps mystique, « l’Evangile qui continue », comme l’écrivait le cardinal Journet[5]. Ce n’est pas non plus parce qu’elle estime que cela est nécessaire à sa sanctification et au salut de son âme. Elle reste dans l’Eglise parce qu’elle veut la changer.

Changer l’Eglise

On touche ici à une conviction centrale de ces catholiques de gauche. Elle est loin d’être propre à Mme Manson ; on la retrouve par exemple sous la plume d’Anne Soupa, théologienne elle aussi, dans une tribune qu’elle signait dans La Croix en 2009 : « Ce qui fonderait donc le fait de rester, malgré l’amertume de ces jours, est la conviction que la critique est destinée au relèvement[6]. » On peut toujours objecter que ce singulier attachement à l’Eglise catholique, apostolique et romaine est le fait de quelques extrémistes ; et c’est certainement vrai ; bien des catholiques de gauche, assurément, gardent ne serait-ce que confusément le sentiment d’appartenir par leur baptême à l’unique Eglise fondée par Jésus-Christ. Mais il n’est pas anodin que de tels propos d’une part soient tenus par une théologienne revendiquée, qui devrait pourtant en mesurer la portée, d’autre part bénéficient d’un aussi puissant relai que celui du quotidien La Croix, sans semble-t-il que la rédaction assomptionniste n’ait trouvé de quoi se scandaliser. Il est accepté, il est admis que des catholiques déclarent rester dans une Eglise dont ils ne partagent visiblement pas la foi ou la doctrine, non pour le salut de leur âme, mais parce qu’ayant perdu foi en l’institution divine de l’Eglise, ils veulent la changer pour la refaire selon leur bon plaisir et selon les valeurs modernes qu’ils assument si pleinement, a planta pedis usque ad verticem capitis. Le monde et son évolution jouant désormais le rôle d’un Magistère infaillible et immédiatement contraignant, il n’y a plus lieu de se préoccuper du Magistère ecclésiastique, sinon pour conformer celui-ci à celui-là.

Sortir de l’Eglise… sans en sortir

Ces catholiques néoprogressistes qui, ayant poussé jusqu’au bout l’écoute du monde et l’assomption des valeurs de la modernité, ne croient plus à la divinité ni même à la nécessité de l’Eglise catholique, ces catholiques contre le catholicisme, loin d’attendre dans l’ombre leur heure, peuvent s’exprimer dans les colonnes de la grande presse religieuse, voire ici ou là dans les diocèses à l’invitation des évêques, sans que nul ne trouve rien à y redire. Jean Madiran explique ainsi ce que signifie la formule apparemment absurde du cardinal Marty : L’Eglise doit sortir d’elle-même.
« Ils veulent sortir de l’Eglise, écrit-il, ils en sont déjà sortis […], mais ils n’en sont pas sortis individuellement : ils en sont sortis « en Eglise », collégialement et conciliairement ; ils en sont sortis tous ensemble, mais sans démissionner, sans rien abdiquer, en conservant au contraire leurs dignités, leurs grades, leurs pouvoirs, en demeurant comme devant, chacun selon son rang, docteurs, hiérarques et pontife [7]. »

[3] http://www.lavie.fr/chroniques/chretiens-en-debats/les-progressistes-doivent-ils-quitter-l-eglise-catholique-29-06-2012-28956_290.php
[4] http://ncronline.org/blogs/grace-margins/leaving-church-luxury-world-cannot-afford
[5] Cardinal JOURNET, L’Eglise et la Bible, 1960
[6] http://www.comitedelajupe.fr/dans-la-presse/pourquoi-je-resterai-dans-leglise-la-croix-2-avril-2009/
[7] Réclamation au Saint-Père, p. 64

Via Contre débat