La diffusion d’une nouvelle étude de marché d’Airbus constitue chaque année un petit événement qui ne laisse pas indifférent. En effet, les économistes de Toulouse, au demeurant bien entourés, sont orfčvres en la matičre, disposent de modčles économétriques qui ont largement donné la preuve de leur bien-fondé en męme temps qu’ils prennent constamment le pouls du transport aérien. Cela en observant ŕ la loupe l’évolution de trčs nombreuses compagnies aériennes, prčs de 750, affirment-ils, ce qui est d’ailleurs étonnant dans la mesure oů moins de 200 intervenants donnent le ton ŕ l’échelle de la plančte.
Quoi qu’il en soit, on retiendra avant tout qu’Airbus estime ŕ 4,7% le taux annuel moyen de croissance du trafic mondial d’ici ŕ 2031. C’est une prévision sans surprise, et présentée comme telle par John Leahy, directeur commercial de l’avionneur européen, qui revient ŕ dire élégamment qu’Airbus persiste et signe ŕ propos d’une avenir prometteur, malgré l’expression d’une grande perplexité que l’on note ici et lŕ, notamment, en France, du côté de la DGAC ou encore de l’Académie de l‘air et de l‘espace. Certains marchés, certes, sont désormais matures, Etats-Unis en tęte, mais d’autres progressent avec une belle constance, ŕ commencer par l’Asie.
Aussi, note le nouveau Global Market Forecast, s’achemine-t-on vers un monde aérien ŕ deux vitesses, les économies émergentes brűlant les étapes tandis que d’autres commencent ŕ marquer le pas. Au final, la demande restera soutenue, environ 28.000 avions de plus de 100 places entreront en service au fil des deux prochaines décennies, en partie pour remplacer 10.350 appareils techniquement et économiquement dépassés et, par ailleurs, pour répondre ŕ la croissance de la demande. D’oů un marché de 4.000 milliards de dollars, un peu moins extravagant qu’il n’y paraît ŕ premičre vue, en moyenne 1.400 avions par an, ŕ comparer ŕ un peu plus d’un millier actuellement, pactole que se partagent grosso modo ŕ égalité Airbus et Boeing.
Petit touche sociologique, Airbus conforte ses prévisions en notant l’apparition prometteuses d’une grande classe moyenne mondiale (Ťglobal middle classť) faite de voyageurs ayant accčs ŕ l’avion en grand nombre. Une tendance renforcée par l’urbanisation croissante de la plančte Terre et la multiplication des mégapoles.
Le ŤGMFť n’ayant pas pour vocation d’analyser le rapport des forces industrielles en présence ne dit évidemment pas si l’actuel duopole va vraiment ętre remis en question par les grandes ambitions chinoises et russes, voire canadiennes. En revanche, on imagine facilement les inquiétudes renouvelées des écologistes ŕ la lecture de telles prévisions, ce qui permet de souligner au passage la faiblesse du lobbying aérien, qui utilise trop peu des arguments rassurants. A commencer par le fait que le trafic a augmenté de 53% depuis 2000 tandis que, dans le męme temps, la progression de la consommation de kérosčne a été de 3% ŕ peine.
La répartition géographique des livraisons de nouveaux avions, en pleine évolution, n’est gučre surprenante, une part de 35% allant ŕ l’Asie-Pacifique. Autre enseignement, qui a valeur de confirmation, 30% des Ťmonocouloirsť iront ŕ des compagnies low cost, ce qui revient ŕ confirmer qu’elles ont plus que jamais tout l’avenir devant elles. Dans le męme esprit, le GMF confirme la solide réalité dominante de quatre grands flux de trafic, Etats-Unis, Chine, Inde et réseau intra-européen.
Il serait vain de vouloir comparer les prévisions d’Airbus ŕ celles de Boeing, similaires sinon identiques, ce qui est d’autant moins étonnant que les deux rivaux font évidemment appel aux męmes sources et partagent l’optimisme prudent des compagnies et de leurs associations professionnelles. Seul différend, bien connu, Airbus croit davantage que Boeing ŕ l’avenir des trčs gros porteurs, VLA pour Very Large Aircraft dans le jargon des spécialistes. Les Européens prévoient la livraison sur 20 ans de 1.700 avions de cette catégorie (plus de 400 places), une vision d’avenir lŕ aussi empreinte d’optimisme, d’autant que le 747-8, quelles que soient ses qualité, a bien du mal ŕ égaler l’A380 de conception beaucoup plus récente.
Au total, cela fait beaucoup d’avions. Le carnet de commandes d’Airbus porte actuellement sur 4.381 avions, de l’A319 ŕ l’A380. C’est ce qui s’appelle une belle visibilité sur un avenir prometteur, quels que soient les incidents conjoncturels qui affectent peu un irrésistible besoin de voyager qui fait la bonne fortune des deux grands avionneurs.
Pierre Sparaco - AeroMorning